Le plus prolifique des auteurs réalisateurs américains est de retour, comme tous les ans, avec son nouveau film. Woody Allen propose avec « Café Society » un condensé de tout ce qu’il aime filmer : New-York, les années folles, des histoires d’amour tragiques sur fond d’humour juif, le tout arrosé de musique jazzy. Bref, le moins que l’on puisse dire, c’est qu’on est en terrain connu avec ce film. D’ailleurs, il commence comme tous les films de Allen commencent ou presque : avec un générique de jazz, des noms en blancs et en ordre alphabétique (pour ne froisser personne, c’est encore le mieux), sur un fond noir et une voix off qui nous accompagnera tout au long du film. C’est sa signature, ce qui fait qu’on ne peut confondre ses films avec aucun autre, si certains pourraient y déceler un manque d’audace ou de créativité, j’y vois plutôt un gimmick, une patte, un clin d’œil à son public, qu’il sait fidèle. Oui, on aime Allen ou on ne l’aime pas, et même si parfois il nous déçoit un peu, quand on l’aime, on y revient toujours. Et quand on est Woody Allen aujourd’hui, on peut s’offrir qui on veut pur étoffer son casting : Kristen Stewart, Steve Carell, la très belle Blake Lively et surtout Jesse Eisenberg. Ce dernier était fait pour Woody Allen, avec son allure un peu gauche et son débit de parole hallucinant : il incarne Bobby comme il incarnait Mark Zuckerberg dans « The Social Network », et il se endosse le costume comme si Allen le lui avait taillé sur mesure. La bonne nouvelle, c’est que les seconds rôles ne sont pas en reste, ils sont bien incarnés, bien écrits, hauts en couleur et souvent drôles comme Corey Stoll (avec des cheveux je l’aurais à peine reconnu) en frère truand ou Jeannie Berlin en mère juive. Côté réalisation, Woody Allen n’est pas un débutant, il sait placer sa musique, faire des apartés qui tombent bien, placer des touches d’humour ça et là qui font mouche, jouer avec les sons aussi. J’ai beaucoup aimé la scène où à la plage ou le bruit de la mer couvre les paroles de Bobby, comme pour illustrer le trouble grandissant que ces paroles provoquent chez Vonnie, elle ne les entend plus parce qu’elles ne les écoutent plus vraiment, son esprit est ailleurs et le bruit des vague reprends le dessus, c’est un petit effet très bête mais c’est malin. Maintenant, là où je serais plus nuancée sur le scénario en lui-même. Alors c’est sur, je ne me suis pas du tout ennuyée, j’ai même trouvé quelques passages franchement amusants et réussis, je me suis attaché un peu au personnage de Bobby, qui se lance dans une vie qui ne lui ressemble pas pour tourner la page d’un cœur meurtri, et la fin (qui arrive bien brusquement) est arrivée très vite sans que je m’y attende, ce qui est bon signe quand même. Mais malgré tout, je me demande encore, au sortir de la salle, ce que Woody Allen a voulu dire, ou montrer, ou faire passer, avec « Café Society », et je ne suis pas sure d’avoir trouvé. Il y a une réflexion sur l’ego, une critique du snobisme et du monde du cinéma des studios, sur l’importance démesurée que l’on donne à la réussite sociale et à l’image au détriment des vrais sentiments et du vrai bonheur. Oui, il y a surement un peu de tout cela dans « Café Society » mais ce n’est ni très clair ni très lisible. En réalité, sous ses aspects de comédie un peu légère et un peu romantique, baignée de soleil californien et de jazz new-yorkais, j’ai l’impression d’avoir assisté à un film assez noir et pessimiste sur la nature humaine, la nature des sentiments que les hommes et les femmes peuvent lier. Dans « Café Society », il y a bien peu de sincérité entre des personnages, il y a beaucoup de faux semblants et de non-dits, de mensonges, de dissimulation, bref, de noirceur. Le seul personnage un peu droit c’est celui du beau-frère de Bobby : modeste, idéaliste, humaniste, pétri de belles convictions, il apparait comme un faible dans ce monde où l’apparence et les rapports de force dominent. C’est peut-être ça le message de Woody Allen quand « Café Society » : dans les années 30 comme aujourd’hui, la société fonctionne plus sur l’ « avoir » que sur l’ « être ».