En parlant du cinéma d' Hirokazu Kore -eda, ce serait une facilité que de dire qu'il renoue avec la tradition des grands anciens, les Imamura, Ozu, Mizogushi... Parce qu'en fait il va beaucoup plus loin dans l'épure. Dans Notre petite sœur, il n'y a plus de trame; il n'y a plus de scénario. Le film évolue sur un fil, sur une plume, sur un souffle.... mais sur ce souffle on éprouve une extraordinaire sensation de plénitude. Kore -eda a inventé le cinéma du Tao.....
Trois sœurs. Jeunes, jolies, gaies, avec leurs chamailleries et leurs histoires de cœur. L'ainée, Sachi (Haruka Ayase) est infirmière; la seconde, Yoshino, employée de banque (Masami Nagasawa), noie ses chagrins d'amour périodiques dans la liqueur de prune (faite maison); la dernière, Chika (Kaho), vendeuse dans un magasin de sport, est légèrement foldingue.
Quand elles étaient encore enfants (Chika ne se souvient même plus de lui), leur père est tombé amoureux d'une autre femme et les a abandonnées. Puis leur mère est partie à son tour vivre sa vie à l'autre bout du Japon, les laissant à la garde de leur grand mère. Et maintenant, elles habitent toutes les trois dans une maison ancienne, toute de bois, où les cloisons coulissent bien mais ferment mal, où l'on se gèle l'hiver, mais qui donne sur une forêt de bambou et où elles se sentent bien. C'est Sachi qui a amené la maisonnée à l'âge adulte, Sachi qui a pris le relais de ces parents irresponsables.
L'"autre femme" est morte, laissant une fille, Suzu Asano (Suzu Hirose); et le père s'est encore remarié. Lorsqu'il meurt, à son tour, les jeunes filles se font un devoir d'aller à son enterrement. Dans ce Japon provincial, où l'on ne se touche pas, où l'on ne s'embrasse pas, mais où on se salue par une courbette plus ou moins appuyée, les choses convenables doivent se faire.... Elles sont touchées par la solitude de Suzu, qui se retrouve maintenant seule au monde -et Sachi la responsable prend la décision de la faire venir avec elles. Mais pour Suzu, ce n'est pas facile non plus: sa culpabilité secrète, c'est d'être la fille de celle qui a brisé un ménage.... Voilà, c'est tout; c'est une dentelle de petits riens, avec les saisons, avec le temps qui passe, avec les cérémonies funéraires -perpétuer le souvenir, si important, l'arrêt devant l'autel des ancêtres, un monde riche de traditions et de sentiments, dont la noblesse grave et secrète nous renvoie à la vulgarité de notre propre univers.
Les quelques personnages secondaires sont attachants. Voire surréalistes... devant le désarroi d'une personne spoliée, le responsable de Yoshino dit "puisque les dieux n'ont pas aidé cette femme, c'est à nous de le faire", bon, les amis, le jour où un banquier occidental prononcera cette phrase, je me rase la moitié de la tête...
On aimerait s'arrêter dans ce petit port si loin de tout, avec ses petits restos où l'on prépare des tartines d'alevins (?), ses lycéens modèles et amicaux, ses trains de banlieue décrépits, ses feux d'artifice sur l'eau où l'on revêt son kimono d'été.... Est ce que le Japon de Kore -eda existera encore dans vingt ans? En tous cas, son cinéma poétique où rien ne pèse, où chaque chose est à sa place dans l'ordre du monde, est une merveille. Kore -eda nous rend meilleurs....