Après le triomphe (mérité) de Tel Père, tel Fils à Cannes et en Occident, Hirokazu Kore Eda est revenu à Cannes avec un nouveau film parlant de la famille dans ses bagages. Première bonne surprise : Kore Eda n’a pas cherché à nous servir une resucée de son précédent film, malgré l’apparente proximité des thèmes des deux films. Malgré l’absence des parents des 4 filles, thème qui constituait le cœur de Tel Père, tel Fils, Kore Eda a ici choisi de se concentrer sur la vie et les interactions de ses héroïnes.
Autant le dire tout de suite, le film est beaucoup plus « japonais » dans sa démarche que n’a pu l’être le précédent film de Kore Eda : il n’y a pas à proprement parler de fil rouge de l’histoire (si ce n’est l’éternel passage des saisons), et la caméra suit tour à tour les quatre filles sans donner la priorité à l’une ou à l’autre (tout au plus peut-on trouver Chika un peu délaissée). On pourrait s’interroger quant à l’utilité de telles scènes, n’y a-t-il pas un risque de dispersion, un manque de profondeur des personnages ? En réalité, ces scènes sont nécessaires car elles donnent mieux à voir (par contraste) le vivre-ensemble, cette alchimie mystérieuse qui unit Sachi, Yoshino, Chika et Suzu, et dont il émane une grande grâce et une affection profonde. Pour reprendre les mots d’une amie : « On dirait que ce sont de vraies sœurs ».
Alors on peut choisir d’y voir de la mièvrerie, mais le fait qu’aucun des personnages ne soit stéréotypés (même Sachi, qui peut paraître très stéréotypée au début, cache en réalité des doutes et des questions qui lui sont propres), que ce soient les personnages principaux comme secondaires (la tenancière du restaurant, la mère, le jeune ami de Suzu,…). Cela est notamment rendu possible par l’excellente interprétation des quatre actrices, Haruka Ayase, Masami Nagasawa, Kaho et Suzu Hirose, qui réalisent la performance collective parfaite, et aux autres acteurs qui ne sont également pas en reste. Toutes et tous, ils insufflent au film cette profondeur des personnages et l’authenticité qui lui permettent de ne pas être un feel good movie à la sauce soja, mais un film touchant et émouvant. Il confirme par ailleurs ce que l’on pressent depuis quelques années : les femmes sont de plus en plus mises en avant dans le cinéma japonais (Vers l’autre Rive pour citer un film récent), grâce à une génération d’actrices remarquables, capables d’occuper le devant de la scène, mais aussi grâce à des réalisateurs aussi talentueux que Kore Eda, soucieux de livrer des films tout en nuances, dans lesquels on retrouve avec bonheur des échos d’Ozu.
Il faut toutefois saluer également le travail remarquable fait sur la photographie, encore une fois magnifique, avec cette fois un cadre radicalement différent de Tel Père, tel Fils pour le coup, avec cette petite ville tranquille de Kamakura, bien loin de l’agitation tokyoïte. Le travail sur la lumière est absolument splendide et vient magnifier cette ville de province pourtant banale. Une science du cadrage et de la lumière qui s’inscrivent dans la lignée des réalisateurs les plus prestigieux du cinéma japonais : Ozu, Kobayashi, Mizoguchi.
Notre Petite Sœur est peut-être moins accessible que Tel Père, tel Fils, mais ce serait une erreur de le considérer comme moins bon. Il correspond tout simplement à un recentrement sur une forme plus typée japonaise, dans la lignée des plus grands maîtres, mais adopte sur le fond un propos plus novateur encore, mettant en avant des femmes fortes et indépendantes. Un nouveau bijou de grâce, de sensibilité et de justesse.