Sans doute plus épuré encore que Le Samouraï, Le Cercle Rouge ressemble quand même bien à la quintessence du cinéma de Jean-Pierre Melville. Tous les procédés habituels du grand réalisateur se recoupent dans un minimalisme paroxystique qui semble annoncer une seule chose partout où il se pose avec une calme solennité : la mort. Les personnages sont réduits à leurs actions, seulement vitalisés par un fétiche psychologique (les chats pour Bourvil, les habitants du placard pour Montand, le fantôme d'une femme pour Delon) qui fait comprendre qu'ils ne sont pas de simples robots mais plutôt des hommes prisonniers d'un univers à son crépuscule, qui courent à l'obsession par peur que ce qu'ils chassent ne soit leur dernier trophée. D'ailleurs, les seuls dialogues ou presque, du côté des truands, sont réservés à l'organisation de leurs mouvements, calculés comme sur un plateau d'échecs en rouge et blanc. L'amitié ou le respect naissant, eux, ne se verront même pas salués par un tel honneur, tout se passant par les regards ou les gestes, comme si les personnages avaient compris qu'il était trop tard et qu'il n'y avait déjà plus rien à dire. Le plus significatif de cette urgence demeure l'apparition du personnage de Delon, qui à peine sorti de prison court aux ennuis et vers l'argent sans perdre une seule seconde, comme s'il reprenait machinalement sa marche criminelle vers son destin toujours plus imminent. Celui-ci frappera d'ailleurs tous les personnages sans vraiment prévenir (le final marque une subite accélération et n'est pas annoncé de manière pompière par la construction narrative), de façon impérieuse, sans ménager un piédestal à des personnages qu'il domine de bout en bout, avec la force irrévocable d'un dieu. Ce dieu, c'est Melville, qui maintient plus que jamais sa maîtrise rigoureuse et implacable, la rendant tangible et presque cruelle même pour les personnages les moins sympathiques. D'ailleurs, même Bourvil n'est pas épargné, son personnage perdant sur le tard une dernière illusion alors que son ton souvent railleur laissait de lui l'idée d'un homme qui pense en avoir trop vu pour être encore trompé ou surpris. Chaque élément du cinéma du réalisateur est là, du ton bleuté de la photo à la parcimonie de la bande-son d'Eric Demarsan, comme de vieilles connaissances réunies au chevet des personnages sur le point de trébucher, pris dans un engrenage que Melville sait si bien huilé. Impitoyable. L'absence coutumière des femmes (différence notable avec Le Samouraï) achève la cruauté infligée aux hommes du Cercle Rouge, privés de la douceur d'une amante ou d'une mère, comme perdus dans un monde qui plus jamais ne sera celui de leur naissance, mais prend petit à petit les couleurs de celui qui verra leur fin. Un superbe testament, même si Un Flic fut en réalité le dernier film de Melville. Le quatuor d'acteurs est exceptionnel, et leurs destins croisés s'entre-choquent dans un bruit sépulcral qui fait de ce Cercle Rouge un classique.