En analyse de film on apprend que les premières minutes d'une oeuvre contiennent en substance le film tout entier. Personnellement je ne partage pas cet avis, mais il y a des exceptions et le début du Cercle Rouge en est une. Soit une voiture, avec à l'intérieur quelques occupants et le chauffeur à la conduite quelque peu désinvolte ( quel grand fou ). Du coup, un tel comportement peut nous faire penser que les personnages sont des " méchants ". Mais au cinéma comme ailleurs, il faut se méfier des apparences, et on apprend rapidement qu'il s'agit de policiers fonçant vers la gare pour y mener un prisonnier. Tout Le Cercle Rouge exprime cette idée de confusion des gens, de frontière floue entre flics et voyous, la pensée que finalement les personnages du film ne sont finalement que " tous des hommes ". Idée forte, déjà présente chez Fritz Lang, dont le cinéma plus contemporain saura se rappeler, de Scorsese ( " You can become a cop or a criminal. But when you're facing a loaded gun, tell me, what's the difference ? " ) à - surtout - Michael Mann, dont une partie de l'oeuvre ne cesse de brouiller les pistes entre les gendarmes et les voleurs ( de Heat à Miami Vice, en passant par Collateral et sa séquence d'introduction du personnage de Mark Ruffalo ).
Le film débute par une citation de Rama Krishna, qui éclaire les 2H15 qui suivront en insistant sur le caractère fataliste de l'oeuvre. Mais cette thématique d'amalgame abordée plus haut me semble beaucoup plus intéressante, car davantage travaillée au sein du film. Elle a pour conséquence la naissance d'une certaine ironie ( le trio peut s'emparer des bijoux grâce à une technique que Jensen a apprise en étant flic par exemple, c'est un gardien de la paix qui propose le casse à Corey ) qui dit quelque part le caractère instable de la Loi et surtout des hommes qui la font ou qui la défient.
L'aspect fataliste du film me semble moins présent d'un point de vue scénaristique que d'un point de vue formel. L'impression que donne la mise en scène de Jean-Pierre Melville est celle d'assister à une marche funèbre. Le réalisateur parvient brillamment à retranscrire cette idée de personnages allant constamment à leur propre perte, grâce notamment à un travail inouï sur le son, une manière prodigieuse de faire du silence une symphonie qui n'est rien d'autre que le " bruit " permanent qui était nécessaire à l'identité du film, et qui en dit beaucoup sur le caractère mutique des personnages. Il y a évidemment des moments où l'absence de sons est l'évidence même ( et encore... ), à savoir le braquage. Mais ailleurs, et tout le temps, c'est à une économie de dialogues que sont soumis les personnages, et qui illustre parfaitement le pessimisme et le côté désabusé qu'ils portent en eux.
Il y a une tension bien présente du début à la fin, une matérialisation physique de la prédominance du Destin sur toute autre chose, et surtout sur les personnages. C'est un cinéma à la rigueur implacable, à la forme austère sans que cela soit jamais rebutant, ennuyeux. Melville construit son film sur un rythme lent, qui se calque sur la psychologie des personnages et - je me répète - sur l'idée que la seule chose qui les attend, inexorablement, est la Mort. Comme ce qui attend tous les hommes finalement...( et les femmes, y en aura pour tout le monde ).
Sorte de mélange - improbable à l'époque certes - entre le cinéma de Bresson ( dans la rigoureuse vitalité ) et celui de Michael Mann ( dans la thématique ), Le Cercle Rouge est tout simplement un chef d'oeuvre d'une maîtrise sidérante, et un des meilleurs films français qui soient.