Le duo Kervern-Delépine, réalisateurs assez atypiques et frénétiques dans un cinéma français de plus en plus normalisé, ont eu le pari fou de réunir deux extravagances de luxe en la personne de Gérard Depardieu et Benoît Poelvoorde dans un road-movie sur fond de dégustations (copieuses !!!) de vins.
Si le postulat de départ peut faire penser à une mauvaise blague, sa finalité donne une toute autre version, proposant des moments de pures comédies mais également des instants plus tendres, teintés d’émotions d’une sincérité à fleur de peau.
Il faut reconnaitre en Kervern et Delépine un certain talent pour pouvoir mêler les genres populaires (comme les comédies noires de Blier et les duos de bras cassés De Funès/Bourvil) à leur cinéma "grolandais" décalé et impulsif. Préparation minimaliste, pas de répétitions, peu de prises et improvisations permanentes forment la colonne vertébrale de leurs films, laissant une liberté totale aux comédiens et permettant également de réinventer sans cesse le scénario.
Alors ce n’est peut-être pas toujours beau, voir approximatif en terme de réalisation, mais de ce Saint Amour, se dégage une captation du réel et une honnêteté si délicate et pleine d’humilité que rien n’est plus beau que les sentiments et les messages que les réalisateurs partagent avec nous, spectateurs. Dans cette quête initiatique vers les révélations d’un amour terni par une mélancolie et une solitude lourde d’entêtement, Kervern et Delépine filment ces marginaux béotiens avec une affection sans limite, malgré leurs comportements parfois rustres. Ils sont tous magnifiques de simplicité et de vérité (Depardieu et Poelvoorde sont grandioses), ce qui est souvent le cas lorsqu’il est question de personnages peu représentés au cinéma, ce qui les rend moins superficiels. Bruno et Mike sont des rejetons d’une société qui ne les a pas écoutés, qui ne leur a pas laissé leur chance, celle de s’épanouir, celle de s’exprimer mais surtout, et c’est là tout l’essence du film, celle d’être aimés. La société a fait d’eux des êtres fragiles qui doutent perpétuellement de leurs capacités, les plongeant presque dans un état d’esprit proche de la misanthropie. Jean, le plus âgé, garde une certaine distance face à cela, rongé par d’autres angoisses. Cette manière qu’il a de continuer à laisser des messages vocaux à sa défunte épouse, souligne sa profonde détresse à pouvoir communiquer avec les vivants et donc avec son fils, Bruno, porté sur la bouteille et frustré sexuel, grand adolescent perdu qui refuse de reprendre l’affaire familiale. Jean va ouvrir les yeux . Il est le premier à ne plus se mentir, il doit, à présent, révéler Bruno à lui-même.
La route des vins s’exhibe comme un symbole de révélations et de changements. Un voyage dont même Mike, le chauffeur de taxi, en est le passager. Les rencontres ne seront jamais préméditées et de ces rencontres, nos personnages en ressortiront changés, tandis que celles calculées par Mike s’avéreront bien moins recommandables.
A travers cette odyssée, ces zéros en deviendront des héros, des damnés vaincus par la vie qui en sortiront vainqueurs.
Beau, touchant et drôle à la fois, Saint Amour paraît néanmoins maladroit à quelques reprises dans son traitement dramatique qui peut déconcerter, voir mener à une gêne dommageable et déroutante (la scène des toilettes sur l’aire d’autoroute). L’équilibre boiteux entre les différents niveaux de lecture du film laisse un sentiment de confusion qui peut entraver à l’implication du spectateur.
Mais que serait un film de Kervern et Delépine sans ces scènes insolites et merveilleusement saugrenues. Que ce soit le "caméo" de Houellebecq en maître de maison d’hôtes ou une apparition d’Ovidie plutôt hot (tiens donc…) en employée d’agence immobilière, certains passages de Saint Amour sont d’ores et déjà cultes ! Un bon cru dirons-nous !