"Non, je ne vous dirai pas la vérité, car autrement, vous me tueriez". Voilà comment Henry McHenry entame sa défense lors de son procès. C'est, à mon avis, bien plus qu'une énième provocation de sa part. J'y vois une porte d'entrée dans l'oeuvre : tout comme, au début, il explique sa vocation de comédien par la volonté de "dire des vérités sans se faire tuer". Comme si l'art ne pouvait exister que par le factice, l'illusion, voire le mensonge. Comme si la vérité était trop violente pour être dite et exprimée telle quelle.
Il y a ainsi deux niveaux de lecture d'Annette. D'abord ce film sur la descente aux enfers d'un homme qui "plonge dans l'abysse" du mal et finit par perdre les personnes qui lui sont chères. On y parle violences contre les femmes, innocence de l'enfance et exploitation des plus faibles. On peut aussi y lire une dénonciation de l'hypocrisie de cette société du spectacle, prête à encenser des stars que nul ne connait jamais vraiment, suscitant chez ces gloires les pires instincts. Si on retient cette lecture au premier degré, Annette est un peu fourre-tout, et manque de subtilité dans son approche et dans l'écriture des personnages.
Et puis il y a cet autre film, bien plus prégnant finalement si on y repense : une mise en abîme du spectacle en tant qu'immense illusion, de la marionnette d'Annette au kitsch du décor et des effets spéciaux. Tout fait faux, tout sonne faux, le jeu des acteurs, l'écriture des personnages, le décor (de la ville quasi-absente à ce stade irréel). L'introduction nous y invite, dans ce monde factice ( un plan-séquence un peu m'as-tu-vu où tous les comédiens jouent leur propre rôle et chantent let's get started), comme une troupe d'acteurs inviterait son audience à s'installer confortablement avant le début du spectacle. Et la scène finale nous en extirpe, Henry, redevenu Adam Driver, nous suggérant d'arrêter de le regarder ("stop staring at me"), regard face caméra. Le dernier plan sur la marionnette inerte confirme (un peu lourdement) ce basculement.
Je suis partagé. Les films qui misent sur l'artificialité - un peu dans la veine (lointaine) d'un Robert Bresson - m'agacent profondément, car la vérité des sentiments est précisément ce que je recherche dans le cinéma. En même temps, Annette est d'une telle richesse visuelle et scénaristique que j'avoue n'avoir pas boudé mon plaisir. C'est le genre de film qu'il faut laisser mûrir et qui, par son souvenir, occupera la place qu'il aura méritée.