Quand le cinéma français tente avec sobriété de sortir de l’immense champ de ruines dans lequel il s’est perdu depuis trop longtemps, cela donne des longs métrages mémorables tels que "Les choristes", ou dans un tout autre registre "Intouchables" pour ne citer qu’eux. Certes ces deux films sont fondamentalement différents, mais ils ont bien plus de choses en commun qu’il n’y parait : la sobriété et la justesse du propos. C’est justement ce qui caractérise "Un sac de billes", une sorte de road movie porté par la touchante innocence puérile de Batyste Fleurial dans la peau de Maurice, et surtout de Dorian Le Clech dans le rôle du petit Joseph fermement attaché à sa bille fétiche en terre. Ce qui est remarquable, c’est d’avoir su ne pas forcer quoi que ce soit, comme s’ils vivaient leur propre histoire. Leur naturel et la caméra de Christian Duguay nous font vivre leur épopée à hauteur d’enfant, sur une partition encore une fois superbe de mélancolie d’Armand Amar. Si la prestation des deux jeunes acteurs est irréprochable, on la doit sans doute à la direction artistique des acteurs, mais aussi à leur complicité bien visible à l’écran, et à la présence de cadres tels que Patrick Bruel, Elsa Zylberstein et compagnie. Dorian Le Clech donne même parfaitement la réplique aux adultes avec un aplomb incroyable (scène du marché et de ses petits trafics) ! Mais avant de parler des cadres, la réalisation de Christian Duguay marque par sa virtuosité à rendre important chaque plan pris. Un exemple ? Eh bien la séquence rapide (très rapide, même… mais juste ce qu’il faut) où on voit le rasoir coupe-chou s’immobiliser pour rester en suspens, comme si le monde s’était soudainement arrêté de tourner à la simple prononciation (mais ô combien pesante) du mot "juif". Tout cela pour dire qu’aucun plan n’est superflu et que la précision des cadrages amène une photographie intéressante, somme toute inégale, oscillant entre la joliesse des prises de vue et le quelconque. Et puis il y a ce fragile équilibre permanent entre la dramaturgie et la légèreté. Avec un sujet pareil, il était pourtant facile de basculer vers l’une ou l’autre de ces approches, surtout quand il est empli de tendresse. Fort heureusement ce n’est pas le cas, et c’est tant mieux, car c’est ainsi que le spectateur ressent les peurs et les espoirs de ces enfants que nous verrons mûrir au gré de leur périple. En gardant le cap de cette manière, le réalisateur est parvenu à instaurer une sorte de tension tout au long de son film, grâce aussi au concours des acteurs visiblement très concernés, et à la musique qui accompagne merveilleusement bien chaque moment du film, laquelle sait même se taire pour des scènes bien spécifiques. Impalpable, cette tension est omniprésente et trouve son point d’orgue lors de la scène de la gifle. Bien que présentée dans la bande annonce, elle restera comme étant la scène culte car elle constitue le moment le plus fort émotionnellement parlant, simplement parce qu’elle est le théâtre d’un acte d’amour dans un contexte d’horreur et de brutalité apportée par des allemands et leurs comportements dont on comprend pourquoi on les traitait de "sales boches", et par la milice française depuis sans cesse montrée du doigt avec comme héritage l'appellation peu enviée de "collabos". Un acte d’amour à l’encontre de la ligne de conduite du père fier et droit magnifiquement porté par un Patrick Bruel heureux d'être fier et droit, mais un acte d’amour qui est aussi une leçon de survie donnée par un père toujours interprété par un Patrick Bruel alors en état de grâce. Une leçon qui sera la ligne de conduite tenue tout au long du film. Même s’il ne sait pas pleurer quand cela est nécessaire, Patrick Bruel étonne le public de son implication totale, de cette force des sentiments que vit son personnage. A ses côtés, la discrète Elsa Zylberstein complète avec conviction le tableau idyllique de famille unie. Seulement Bruel ne sera pas le seul à vous étonner : Kev Adams et Christian Clavier sont venus ici changer radicalement de registre à notre plus grande surprise. Le premier montre un réel potentiel en art dramatique, jusqu’aux larmes qui perlent. Le second montre une force teintée à la fois de conviction et de persuasion dans son regard, comme si l’acteur croyait lui-même fermement en la teneur des conseils avisés donnés par son personnage. Si l’immersion dans cette aventure est rendue possible, on le doit aussi à la qualité de la reconstitution : le salon de coiffure, les autos, le train avec sa machine à vapeur, les costumes, et toute une pléiade d’objets vintages contribuent à nous replonger sans difficulté dans la France occupée de 1944. Seulement il manque juste un petit supplément d’âme, ce petit quelque chose d’indéfinissable supplémentaire pour nous porter au firmament des émotions fortes tout au long de cette belle histoire, ce qui nous fait presque regretter de vivre le moment le plus intense si tôt dans le film. Quoiqu’il en soit, "Un sac de billes" est un bien joli film qui se ponctue sur une note de pudeur lors de la révélation finale, confirmant ainsi qu’il n’est pas toujours nécessaire de mettre des mots pour dire les choses, ne serait-ce que par respect et recueillement. Et puis ce film n’est pas exempt d’erreurs, comme lors de la partie de belote quand on voit Roman (Patrick Bruel) annoncer "belote, rebelote et dix de der" alors que sur le plan précédent, il avait en main trois cartes... de couleurs différentes (oups! la boulette...). Mais cela reste très anecdotique et s’oublie rapidement pour suivre avec le plus grand intérêt et sans aucun ennui les 110 minutes de ce film. Gageons que "Un sac de billes" fasse une belle carrière, bien qu’à mon avis, il ne rencontrera pas tout à fait le même succès que les deux films susmentionnés. Ainsi donc, tel est l’avis de quelqu’un qui n’a pas lu le roman éponyme de Joseph Joffo sur lequel s’appuie la réalisation de Christian Duguay, et qui n’a pas vu (non plus) la première adaptation cinématographique.