Mémoire, conscience, éveil, tout et son contraire. Résistants, collabos, victimes, otages, chaos. Jusqu’où le corps peut-il résister ? Résilience, logothérapie. Donner un sens à sa vie, se laisser emmener par la mort pour sauver les siens après avoir tout tenté pour l’éviter. Celui-là, un père, n’est jamais rentré, ainsi que des millions d’autres. Des milliards d’histoires, toutes vraies. Dans une cour d’école, on insulte un enfant parce qu’il est juif. Il a tué le Christ. C’est lui, c’est précisément ce gamin-là qui l’a tué. L’autre, celui qui insulte, l’a vu, il a vu le gamin tuer le Christ. L’affaire date de deux millénaires. On s’en fiche, on fait comme si c’était de maintenant. Mais c’est faux, c’est un problème romain. Il n’y a plus de Romains pour leur demander des comptes à moins d’aller chercher leurs descendants. Il en existe très probablement si on sait que nombre de Romains se sont convertis au christianisme. Ironie du sort. Même un pape récent s’est finalement justifié de ce vieillissime malentendu. On s’en fiche, on fait comme si c’était les Juifs. La haine, c’est humain. Avoir son bouc émissaire à soi, ça rend grandement service à sa conscience. Alors hop, les Juifs ! Tu ne comprends rien à ces propos, n’est-ce pas ? Eh bien, tu as raison, cette haine gratuite n’a pas de sens, elle relève de l’irrationnel, elle sort de l’entendement humain, de l’entendement animal même. Où tu as vu qu’une haine pouvait se répandre sur une aussi longue période et de manière si universelle ? Je te dirais que « Un sac de billes » est pure fiction que tu te sentirais soulagé, tu dirais « évidemment, cette histoire est invraisemblable, cela ne peut exister, cela n’existe pas ».
De ce film, j’en ai eu pour une nuit de cauchemar. Mais pour moi la terreur n’a duré que quelques heures. Je cauchemardais dans un lit douillet, dans le cadre sécurisant d’un foyer paisible. Pour eux, les millions, ceux-là n’étaient pas en prise avec un cauchemar par procuration, une terreur provoquée par une histoire mise en images par le cinéma. Des millions, trois, quatre générations, prises ensemble, piégées par la haine, décimées en totalité par un diabolique malentendu. Le cinéma s’est emparé de cette histoire vraie parce qu’il a aussi son devoir de mémoire. Et le cinéaste Christian Duguay l’a dignement rempli ici. Merci à lui.