Vu le climat économique et politique actuel, Il était bien temps qu’on reparle de Marx (né 200 ans avant la sortie de ce film!)...mais plutôt que le penseur barbu au buste imposant passé à la postérité, on retrouve ici les jeunes Marx et Engels dans les années 1840, qui mènent une vie de bohème à Paris, Bruxelles et Manchester, perpétuellement inquiétés et menacés d’expulsion par le pouvoir en place, nouent des liens avec la nouvelle vague philosophique hégélienne et les représentants plus ou moins officiels du monde ouvrier et préparent la rédaction du Manifeste du Parti communiste de 1848. Ce sont ces années de jeunesse formatrice, les rencontres avec les grandes figures du socialisme naissant, les débats idéologiques enflammés sur les méthodes et les finalités, qui constituent le coeur du projet du réalisateur haïtien Raoul Peck...et n’échappent malheureusement pas à l’aspect “Reconstitution patrimoniale ampoulée�, même si celle-ci est relativement réussie. Dans cette optique, on attend évidemment trois choses du film : une incarnation appropriée des fortes personnalités que furent Marx et Engels (mais aussi Proudhon et Bakounine), une illustration des discussions et argumentaires qui allaient conduire à l’avènement du matérialisme dialectique et la reconstitution des effroyables conditions ouvrières de l’époque. Dans les trois cas, le film ne manque pas à ses devoirs, même si on chercherait en vain la moindre raison d’être ébloui : les événements ne se prêtent guère aux aventures flamboyantes et les discussions théoriques, pour peu que vous n’ayez pas la tête à ça, vous donneront parfois l’impression d’avoir été expédié dans une réunion de travail où vous ne connaissez ni les gens ni ce dont ils parlent. ‘Le jeune Karl Marx� ne devient vraiment intéressant que lorsqu’il aborde la vie privée et sentimentale des deux penseurs révolutionnaires, aspect généralement occulté par l’omniprésence de leurs Idées : Marx, perpétuellement dans la gêne, intransigeant, provocateur et redouté par ses pairs qu’il ne ménage pas, est marié à l’aristocrate Jenny von Westphalen qui a renoncé à ses titres et à sa richesse pour soutenir la carrière erratique de son mari : c’est Engels, fils d’un puissant industriel, qui les soutient financièrement. Ne craignant pas le grand écart idéologique, Engels, tout en théorisant l’avènement des Temps Nouveaux avec son ami, continue à travailler pour son père en tant que fondé de pouvoir, et vit en concubinage avec l’ouvrière irlandaise Mary Burns, rencontrée alors qu’il menait un enquête sur les conditions d’existence du prolétariat anglais. L’intimité des grands hommes en dit souvent plus long sur eux que les vignettes édifiantes que la Grande histoire en laisse.