Ce film réussit plutôt bien à combiner, ce qui est toujours difficile dans un film historique, documentaire de surcroit, la chose suivante : être abordable pour les novices, avec quelques ellipses parfois tout de même, et être intéressant pour les initiés à la doctrine. On aurait néanmoins apprécié une genèse de ses idées philosophiques. Mais il a l’intérêt de donner une vision plus humaine des penseurs intellectuels des siècles précédents. On y trouve un Marx (magnifiquement interprété par August Dielh) arrogant mais vulnérable, en intégrité parfaite avec son engagement philosophique, ayant un mode de vie austère et pauvre.
Le jeune Karl Marx retrace sa vie, de la période de 1844 à 1848, marquée par son doctorat de philosophie, ses débuts dans le journalisme, sa rencontre avec sa femme Jenny et celle avec Engels (formidablement joué par Stefan Konarske). Engels, son ami et complice, seul avec qui il atteint une réelle convergence de vue, se rebellant face à son père, un riche patron d’une filature, a tout autant d’importance dans ce récit. Tous deux sont attachés à la classe, défendant les droits des travailleurs, pourfendant le fétichisme de la marchandisation , démontant les rouages du capitalisme, prônant la lutte des classes et s’impliquant dans l’agitation des mouvements sociaux comme la Ligue des justes.
La réalisation est réussie. Même si Raoul Peck reste dans le classicisme (décors et costumes d’époque, mise ne scène romanesque du quotidien des protagonistes), ce biopic a le charme de nous enchanter lors de quelques scènes fortes, portées par les dialogues cinglantes de Pascal Bonitzer. On se régale notamment de celle où Marx conteste le slogan de Proudhon « la propriété c’est le vol », par une même punchline, ou encore la discussion de Marx et Engels avec un ami de son père, grand patron qui justifie sans culpabilité le travail des enfants par la nécessité de faire face à la concurrence, et que Marx et Engels humilie, est assez jubilatoire. Autre prise de position intéressante dans cette réalisation, le mélange des langues. On pense bien sur à l’importance des mots, quand on épouse une carrière d’écrivain, que ce soit philosophique ou politique. Mais au-delà de ça, cela met en exergue à la fois l’exil permanent, mais aussi la volonté de réunir les peuples de tous les pays, qui les enclin à maîtriser tant l’allemand et l’anglais que le français.
Autre chose appréciable dans ce film, la place méritée qui est donnée aux femmes. L’une a quitté sa riche famille pour vivre dans la pauvreté avec Marx, et l’autre, ouvrière, soutient son compagnon et l’infiltre dans les milieux ouvriers. Leur intelligence, leur combativité et leur courage sont sans nul dote un appui indispensable à la réussite de leurs compagnons.
En somme, ce film donne envie de lire ou de relire Marx !