Après Narco (2004) qu'il avait co-réalisé avec Tristan Aurouet et dans lequel il dirigeait déjà Guillaume Canet, Gilles Lellouche revient avec Le Grand bain, qu'il met en scène cette fois seul (entre les deux il avait fait un sketch de la comédie Les Infidèles). Il confie : "L’idée, c’était surtout de trouver un sujet qui me touche et me permette de réaliser un film plus personnel que Narco, qui était malgré tout un film de commande. C’est un film que j’ai pris beaucoup de plaisir à faire mais qui n’est pas intimement lié à qui je suis. Tout ça a pris du temps car après Narco, mes films d’acteurs ont pris toute la place."
Gilles Lellouche a commencé à écrire un film qui contenait déjà un peu les prémices du Grand bain en 2010. Le réalisateur avait envie de parler de cette lassitude qu'il sentait chez les gens de sa génération ou même plus globalement en France. Il raconte :
"Dans cette course un peu individualiste où l’on se retrouve tous malgré nous coincés, on oublie le collectif, l’entrain, le goût de l’effort. Il y avait déjà ce côté cercle de parole qui m’avait beaucoup marqué quand j’avais assisté à des réunions d’alcooliques anonymes pour préparer Un singe sur le dos, le film de Jacques Maillot dans lequel je jouais un alcoolique. J’avais été ébahi par la chaleur humaine, le dialogue, l’écoute qui y régnaient, sans aucun jugement. On vit dans une société où les émissions de télé, les débats sont remplis de jugements et d’avis tranchés sur tout, alors j’ai adoré cette bulle de partage."
Gilles Lellouche avait commencé à écrire autour de cela, mais il manquait une dimension poétique et cinématographique à son histoire. Le producteur Hugo Selignac lui a alors conseillé de regarder un documentaire sur ARTE qui suivait une bande de Suédois pratiquant la natation synchronisée masculine. C'est là qu'il a su qu'il tenait son sujet : "Une troupe d’hommes plus ou moins désenchantés qui courent après des rêves déchus. Ensuite j’ai demandé à Ahmed Hamidi, dont je connaissais bien le travail et qui était un auteur phare des Guignols à la grande époque, d’écrire avec moi et, dans un second temps, Julien Lambroschini", se souvient Lellouche.
Vanessa Paradis avait été approchée mais c'est finalement Marina Foïs qui a eu le rôle.
Avant le tournage du Grand bain, les comédiens ont dû s'entraîner avec Julie Fabre, la chorégraphe de l’équipe de natation synchronisée féminine olympique. Si cette dernière était, au début, sceptique, elle a dit à Gilles Lellouche que les choses allaient finalement pouvoir se faire au bout de trois semaines. Le metteur en scène se rappelle :
"Je vous passe le fait que Balasingham ThamilcheLvan, que j’avais trouvé au cours d’un casting sauvage, m’avait menti - en fait il ne savait pas nager – et que Félix quant à lui, ne supportait pas de mettre la tête sous l’eau alors qu’il joue le pilier ! Bon, pour tout ce qui est jambes à l’extérieur de l’eau, j’avais des doublures, parce que même après sept ans d’entraînement, c’est très compliqué. Ils se sont entraînés comme des bêtes pendant 7 mois, à raison d’une ou deux fois par semaine, ils m’ont épaté ! Le plus sportif, c’était Guillaume. Mais à la volonté et à la rigueur, c’est Mathieu qui gagne ! Quant à Benoît, c’est un excellent nageur mais… dissipé."
Un film concurrent, Regarde les hommes nager, est sorti durant l'été 2018 en Angleterre. Voici son pitch : "Afin de conquérir à nouveau le coeur d'Heather, Eric s'inscrit dans une compétition de natation synchronisée masculine." Tout comme Le Grand bain, ce long métrage s'inspire de la même histoire vraie d'un club suédois.
Si Narco était pétri de références cinématographiques, pour Le Grand bain Gilles Lellouche n'a pas voulu voir de films. Il explique : "Je préférais m’affranchir de toutes références, même s’il y en a forcément plein d’inconscientes."
Avec Le Grand bain, Gilles Lellouche avait pour volonté de réunir plusieurs acteurs issus d'horizons différents et qui avaient pour habitude de porter des films à eux seuls. Le metteur en scène indique :
"Mathieu, je l’ai rencontré sur le tournage du Rappeneau, Belles familles, j’admire son talent depuis le Cours Florent donc l’idée de travailler avec lui me trottait dans la tête depuis longtemps. Philippe Katerine, s’il m’avait dit non, j’aurais été dans une merde noire car c’est le seul qui pouvait jouer Thierry sans en faire une caricature d’homme enfant agaçante. Il a une fantaisie lunaire, dadaïste, qui collait parfaitement au personnage. Anglade, on habite dans le même quartier, je le croisais au supermarché du coin, sa poésie me touche infiniment. J’avais ce souvenir de lui dans La Reine Margot avec ses cheveux longs, c’était parfait pour mon rockeur revenu de tout."
"Poelvoorde était déjà dans mon premier film, pour moi c’est un génie absolu qui peut tout jouer et qui excelle dans les rôles de roublard. LeÏla, dans la vie, quand je la croisais, je voyais qu’elle avait une autorité naturelle qui n’avait jamais été exploitée au cinéma. Elle était idéale pour incarner la rigueur du sport, et Virginie, la philosophie. Quant à Guillaume, je craignais que le personnage l’effraie parce que c’est peut-être le moins sympathique, mais il a eu l’intelligence de voir sa beauté et ses failles. On parle souvent d’amitié à propos de Guillaume et moi, mais on est aussi beaucoup dans une relation de travail. D’ailleurs, je n’ai pas voulu tourner avec ma bande de potes. Au bout d’un moment, ça peut être très inhibant."
Côté musique, Gilles Lellouche a beaucoup cherché dans les années 1980, car ses personnages en sont issus, d’où la présence de Tears For Fears, Phil Collins, Imagination… "Et puis mon rêve s’est réalisé quand Jon Brion, dont je suis fan, a accepté de composer la musique du film. Son travail participe beaucoup à raconter la mélancolie des personnages", précise le cinéaste.
Incarnant l'un des nageurs, un certain Balasingham Thamilchelvan trouve avec Le Grand bain son premier rôle au cinéma. Ce comédien indien qui est, à la base, musicien et ingénieur en informatique, se rappelle comment il a rejoint cette nouvelle réalisation de Gilles Lellouche :
"L’histoire du film m’a touché. On a les mêmes problèmes aussi dans notre communauté. Et parce que Gilles m’a fait confiance et ce n’était pas gagné ! Depuis 2011, j’organise l’équivalent de The Voice en France pour la communauté sri-lankaise et indienne. Un jour, un ami m’appelle pour me dire que Gilles Lellouche cherche à faire un casting pendant la finale. La directrice de casting est venue interviewer les artistes et a fait un selfie avec moi, qu’elle a montré à Gilles. Je crois qu’il a bien aimé ma tête, du coup il m’a proposé de me tester sur une réplique et que je fasse des essais en piscine. J’avais prévenu que je n’étais pas un bon nageur, en fait, je ne savais pas nager ! Je me suis retrouvé à faire des tests à l’INSEP dans un bassin qui faisait 4 mètres de profondeur ! J’arrivais à flotter sans avancer à un mètre du bord, j’étais un peu en panique. Je me suis dit que j’allais abandonner mais Gilles a proposé de me faire prendre des cours de natation et au bout de 10 séances, c’était gagné."
Avec 10 nominations, Le Grand Bain est pourtant reparti quasi bredouille des César 2019. Seul Philippe Katerine a remporté le prix du meilleur second rôle masculin.