Les deux acteurs principaux, Maïmouna N’Diaye et Fargass Assandé qui avaient créé leurs rôles au théâtre, le film étant adapté d’une pièce de théâtre mise en scène à Ouagadougou en 2005 par Luis Marquès (directeur artistique et coscénariste avec Jacques Fieschi de ce film issu de nombreux ateliers d’écriture et d’une coproduction avec un budget de 60 millions de Fcfa, soit 90 000 euros). Une avocate vertueuse (mais dont le père ne l’est pas), après bien des hésitations, va s’engager, pour que justice existe, à défendre un rebelle sanguinaire. C’est un peu La Belle et la bête, puisque la défense de l’avocate est de faire du rebelle une victime. La tension entre les deux personnages qui vont peu à peu tous deux se révéler dans leur intimité au cours du film est ainsi sous-tendue par la question de savoir si l’on peut défendre le mal en justice et si un tortionnaire est aussi un humain, vieille question posée par Hannah Arendt qui évoquait à propos d’Eichmann « la banalité du mal », son incapacité à distinguer le bien du mal : s’il ne fait pas de doute qu’il faut traiter tout homme selon les principes de la justice et respecter sa potentielle humanité pour ne pas s’abaisser soi-même (comme le fait Timbuktu d'Abderrahmane Sissako pour les Djihadistes), le procès d’Eichmann avait montré qu’il n’avait pas l’ombre d’un remord pour avoir organisé l’élimination de millions de personnes puisqu’il n’avait fait qu’accomplir les consignes et s’était arrêté de penser. La bonté intrinsèque supposée à réveiller en chacun reste un mythe au regard des grands assassins de l’Histoire. Jusqu’à la scène finale, le spectateur est amené à croire avec l’avocate qu’un espoir reste permis, avant que tout s’inverse et qu’un insert ne rappelle que 150 000 enfants soldats devenus adultes ne sont traités par aucun programme de déconditionnement et représentent pour leurs sociétés une bombe à retardement. C’est dans ce retournement choc que le film trouve sa force.
Les points de vue de l’avocate et du rebelle sont peu à peu explicités, de même que les conditions d’exercice d’une justice manipulée et les terribles conditions de détention. Cependant, les duos à huis-clos dans la prison, les tentatives de Fargass Assandé d’incarner à force de regards et d’attitudes la bête menaçante, la mise en scène du procès, les confrontations familiales sont tous marqués par une certaine théâtralité de jeu et de mise en scène renforcée par une image et une musique démonstratives qui limitent la capacité du film à s’imposer dans son propos, au demeurant tout à fait prenant, jouant sur le suspense du processus judiciaire. Débutant au générique sur des images en noir et blanc des massacres perpétrés par les guerres en Afrique, le film dénonce la collusion des pouvoirs politiques et judiciaires ainsi que la corruption : il s’inscrit dans les nombreuses tentatives du cinéma de renforcer la mobilisation contre la mauvaise gouvernance et annonce ainsi comme d’autres films la révolution burkinabée de la fin octobre 2014. (extrait du compte-rendu du Fespaco 2015 par Olivier Barlet sur le site d'Africultures)