Presque inconnu du public, le réalisateur hollandais Martin Koolhoven s’aventure, en 2016, dans le genre renommé mais délaissé du western, en marchant dans les traces de la Nuit du chasseur (1955).
En effet, les influences du film de Charles Laughton sont nombreuses dans ce western moderne, à commencer par l’antagoniste lui-même, un pasteur sadique et monstrueux à la poursuite d’une femme et de ses enfants. La célèbre scène de surveillance nocturne sur la chaise à bascule est également reprise, offrant un agréable clin d’œil à l’œuvre originale. Mais il ne faut pas se méprendre : Brimstone n’est pas un remake. Il s’agirait plutôt d’une forme d’hommage au style d’épouvante et de noirceur psychologique de la Nuit du chasseur, mais avec de notables modifications. D’abord, dans le genre du film, dont la classification de « western » serait un peu réductrice. En effet, la traque du pasteur rapproche l’intrigue de celle d’un thriller, quand l’usage appuyé de la violence peut être comparée à celle d’un film d’horreur. A ce titre, si l’on peut faire un reproche principal à cette réalisation, c’est cette dimension sanglante et violente. Meurtres, pendaisons, viols, violences sur enfants, aucune pitié n’est laissée aux personnages, ni au spectateur, rudement sollicité sur le plan psychologique et émotionnel. Mais cette dureté de ton apporte aussi un certain réalisme, qui nous fait prendre conscience de notre grand confort personnel, en comparaison de la vie rude que menaient les hommes et les femmes du XIXème siècle.
Ensuite, d’un point de vue scénaristique, le personnage du pasteur est l’une des rares passerelles que l’on peut établir entre les deux films, puisque le reste de l’intrigue prend une voie totalement différente, avec des personnages et des enjeux que l’on ne retrouve pas dans l’œuvre de Laughton.
Enfin, la place accordée aux femmes et à leur traitement dans une société violente et machiste, qui est au cœur du film et qui est trop peu représentée dans le genre du western.
La structure narrative est originale et rappelle le découpage en chapitres que l’on peut retrouver chez Tarantino, dont l’usage de la violence peut aussi être rapproché à celui de Koolhoven. Les titres des quatre parties du film ne sont pas choisis par hasard et rappellent les textes bibliques que le pasteur érige en style de vie à respecter. Ce dernier est d’ailleurs plus approfondi que dans la Nuit du chasseur, mais avec un caractère plus sadique et violent que celui interprété par Robert Mitchum.
Méconnu du grand public, Brimstone ne profite pas de la notoriété qu’il mérite, peut-être en raison de son étiquette « western », dont le genre est aujourd’hui loin de son apogée des années 1940-1950. Pourtant, Martin Koolhoven réussit à réaliser un bel hommage, en offrant certains plans et cadrages particulièrement précis qui rappellent ceux de la Nuit du chasseur. La photographie est magnifique, nourrie d’une lumière maitrisée qui se marie habilement aux variations d’ambiance et de températures. Les décors sont nombreux, somptueux et diversifiés, allant des montagnes enneigées aux plaines arides, en passant par une ville caractéristique du style western. Enfin, la musique de Tom Holkenborg (300 : La Naissance d’un empire, Deadpool) parvient à retranscrire l’émotion de chaque scène avec brio.
La distribution, dont la dimension internationale et reconnue est une nouveauté pour le cinéaste hollandais, bénéficie de quelques talents convaincants. D’abord, Dakota Fanning, émouvante et éblouissante dans le rôle de Liz/Joanna, une femme particulièrement vaillante et dévouée pour qui la vie n’a offert aucun répit. Ensuite, l’imperturbable Emilia Jones, que l’on peut voir dans la série Utopia, joue une Joanna adolescente avec une parfaite maitrise des émotions. Dans la peau du terrible révérend, Guy Pearce présente un air diabolique et dérangé qui nous ferait presque regretter le pasteur incarné par Robert Mitchum. Enfin, notons la présence surprenante de Kit Harington, que l’on est plus habitué de voir dans les décors enneigés de Westeros que dans le désert aride nord-américain, mais qui parvient toutefois à offrir une prestation convaincante dans la peau d’un bandit de grand chemin.
Finalement, un western/thriller très bien réussi, qui flirte avec le film de Charles Laughton sans pour autant le copier, en prenant le parti d’un scénario original délivrant un réalisme plus prononcé grâce à une violence exacerbée. De plus, Koolhoven n’a pas oublié d’intégrer quelques messages à sa réalisation, comme le faisaient les westerns classiques. Mais à la place des questions de lutte entre la loi et le revolver, et des questions identitaires venant de cow-boys en marge d’une société en pleine évolution, Brimstone interroge sur le traitement des femmes et la place nauséabonde de la religion dans cette société, et par écho, dans la nôtre.