A la façon de The Dark Knight ou ...Et pour quelques dollars de plus, John Wick 2 apporte plus de complexité à l'univers d'un premier volet qui ne demandait qu'à prendre son envol. Repartant dès le départ sur les retombées du premier volet, avec encore une histoire de russes rapidement expédiée (et qui donne lieu à une course-poursuite fantastique), il décide rapidement de partir dans une direction toute autre en plaçant Wick non pas comme ennemi de la pègre, mais bel et bien des siens.
C'est cela que l'on attendait depuis le premier film : un affrontement intra-muros dévoilant déjà mieux l'organisation des tueurs à gages, et des combats à la pelle renversant toujours plus les attendus de ce type d'oeuvre, et les limites de ce genre de combats. Toujours plus jouissif et audacieux, John Wick 2 présente un nombre incroyable de scènes d'action toutes plus lisibles les unes que les autres, s'inscrivant dès ses premiers affrontements dans la lignée des autres long-métrages essentiels du cinéma d'action.
C'est alors qu'il corrige une partie des défauts du premier : bien mieux filmé et cadré, il nous présente un travail encore plus inspiré et original, ne se contentant plus de montrer de manière efficace des hommes s’entre-tuer; il parvient à rendre le jeu de massacre de Keanu Reeves esthétique et presque somptueux en mettant en avant des décors absolument sublimes, des acteurs à la présence animale et sensuelle (la scène de meurtre dans le bain est un délice de mélancolie) et l'ultra-violence dansante de son personnage phare increvable.
Bien plus abouti sur le point de la forme, il va même jusqu'à livrer des compositions très inspirées, plus proches du film d'auteur à budget que de l'actioner bourrin qu'on voulait voir; Chad Stahelski, de sa jeune expérience dans le poste, donne vie à une réalisation soignée, toujours très classe, qu'on penserait d'une certaine manière calquée sur la réussite esthétique grandiloquente du Skyfall de Sam Mendes, Roger Deakins en moins. C'est à Dan Lautser, directeur de la photographie, chez Guillermo del Toro, des jolis Mimic et Crimson Peak, que revient la tâche de donner vie à l'univers grisâtre composé par le peu inspiré (mais français) Jonathan Sela, entre autre croisé au détour de Max Payne, Que Justice Soit Faite et Die Hard : Belle Journée pour mourir.
Et si l'on n'avait rien de particulier à attendre de la photographie de ce nouvel opus, il faudra reconnaître qu'elle est en grande partie responsable de sa réussite graphique : loin du manque d'inspiration du volet précédent, plus proche d'une suite de Taken un peu plus appliquée que de la magnifique duologie The Raid, celui-ci lorgne du côté du cinéma asiatique en proposant des cadrages toujours très nettes, durant lesquels la lisibilité primera sur tout, et des couleurs resplendissantes qui le rapprochent d'une version américanisée et modernisée de la claque esthétique de Tsui Hark, Time and Tide (autant sur la propreté des combats que le choix réussi des couleurs et des décors).
Les seconds rôles trouvent eux-mêmes une saveur et un relief insoupçonnés : que l'on se souvienne du charisme paternel de Ian MacShane ou de la marginalité habituelle de Laurence Fishburne, de la traîtrise maligne de Riccardo Scamarcio ou de la beauté de larmes Claudia Gerini, on se souviendra aussi qu'ils auront tous leur moment de gloire, la scène où l'on pourra déterminer tout leur potentiel et voir ce dont ils sont capables; ils suffit pour Gerini d'une ligne de dialogue pour déterminer la nature et l'honneur de son personnage, d'un sourire à McShane pour témoigner de l'amour et du respect qu'il a envers Wick, personnage qu'il considère comme son fils, au même titre que l'autre le voit comme son père.
Cette chouette galerie de personnages graviant autour de Keanu Reeves et de son personnage sur-mesure perdrait de sa saveur sans ces deux acteurs pourtant arrivés d'un autre versant artistique, le rappeur Common et la mannequin Ruby Rose. Common, très investi dans son rôle, apporte à l'oeuvre une sensibilité bienvenue par ses peines et les sous-entendus concernant la nature de sa relation avec le premier contrat de Wick.
Ruby Rose, d'un autre côté, représente la cause des sourds-muets dans un style de cinéma trop peu habitué à les mettre en scène : cela tombe parfaitement, puisque si son visage est absolument sublime et propice aux expressions qu'elle doit retranscrire (du moins à son manque d'expression), le fait de ne jamais ouvrir la bouche lui confère un rôle mutique à la hauteur de ses capacités de jeu, ici excellentes, et qu'on considérera sûrement rétrospectivement comme le meilleur de sa carrière.
Loin de sa prestation désastreuse dans la série Batwoman, elle campe ici un personnage tout en charisme et en sobriété, antagoniste proche des comics (notamment de ceux du Punisher) dans la relation non-avouée qu'elle entretient avec John Wick : les affrontements, toujours aussi violents (si ce n'est encore plus) ne se suffisent ainsi plus à des matchs à mort entre hommes, ils prennent la forme d'une danse entre deux âmes qui s'aiment parce qu'ils se haïssent, se respectent parce qu'ils se savent les meilleurs de leur spécialité.
Cette dichotomie tirée des comics ajoute à l'entreprise de l'humour et une profondeur dans la relation que les personnages entretiennent entre eux, renvoyant souvent aux seconds rôles savoureux des James Bond de Sean Connery et Roger Moore, avec des ajouts de Matrix et de Jason Bourne, le côté bourrin et stupides des films d'action des années 80-90 n'ayant pas été retiré du script.
Bien plus assumé et abouti que le premier épisode, ce second volet propulse la saga vers des horizons inattendus rendant encore plus complexe son univers passionnant, et se permet d'ajouter au tout globalement bourrin et pétaradant, une projection intéressante et sensible du passé et de ses répercussions dans le présent, de l'honneur et de l'amour, thématiques certes communes dans le cinéma mainstream actuel mais évoquées ici avec une mélancolie désarçonnante, et une sensibilité qu'on n'attendait pas au tournant.
La grande réussite de John Wick 2 tient dans le fait qu'il met mieux en scène ses thèmes que ce qu'il en disserte.