"Le film a fait le roman, et le roman m'a fait. Le film de De Palma est superbe, il maîtrise parfaitement le matériau d'origine." dira Stephen King, qui n'a pas tari d'éloges sur la toute première adaptation au cinéma, en 76, de son tout premier roman publié deux ans plus tôt. CARRIE fut un grand succès, d'autant plus innattendu qu'il n'était porteur d'aucun nom connu: King n'était pas encore le king; De palma, bien que s'étant déjà fait remarqué avec son oeuvre culte, 'Phantom of paradise' n'était pas encore reconnu comme un réalisateur important; Sissy Spacek et Amy Irving étaient encore inconnues, de même que John Travolta n'avait pas encore tourné dans 'Grease'. Ainsi, CARRIE fut la rencontre providentielle entre l'écrivain et le cinéaste, et révéla de talentueux acteurs.
En outre, si CARRIE a connu un important succès, l'originalité de son histoire et le talent avec lequel Brian De Palma l'a mis en scène en sont des causes. CARRIE a touché un large public, celui des jeunes, des amateurs de films d'horreur bien sûr, mais pas seulement. C'est une histoire avec des personnages auquels on peut facilement s'identifier. Carrie, adolescente souffre-douleur de ses camarades et de sa mère tyrannique et bigote, est dotée du pouvoir de télékinésie. Un pouvoir qui grandit, et qui lui permettra de se venger...
Découverte de la sexualité, religion, milieu du lycée, crise d'adolescence, la figure de la mère abusive... Autant de thèmes qui servent un portrait fort et touchant d'une jeune fille au destin sombre et hors-norme, ainsi qu' une satire sociale, et une dénonciation du fanatisme religieux. L'irruption du surnaturel sert de révélateur à ces éléments.
La narration du livre de King alternait récit du narrateur extérieur et extraits de journaux, témoignages, articles divers. King nous captivait et nous racontait l'histoire comme si elle s'était vraiment passée, ce qui nous donnait l'impression de lire une histoire vraie. King établit avec ce premier livre les bases de sa façon de construire un suspens et une progression dramatique. Ainsi le lecteur se trouvait happé littéralement dans le récit, fasciné par le pouvoir grandissant de la jeune fille martyrisée, jusqu'à l'explosion finale de ses pulsions destructrices. Difficile d'adapter le roman tel quel, mais Lawrence a fait un beau travail de scénariste. Même si l'on peut regretter que la fin très spectaculaire du livre n'ait pas été conservée (Carrie détruit toute la ville dans le livre, elle se contentera du gymnase où avait lieu le bal, d'une voiture, et de la maison où elle vivait avec sa mère dans le film). Une fin plus proche de celle du bouquin sera d'ailleurs visible dans le remake TV sorti en 2002. En effet, certains éléments du livre ne sont pas présents dans le film ou ont été modifiés. Mais malgré quelques divergences et variantes, De Palma conserve malgré tout l'essentiel de l'oeuvre de King, et réalise un film qui en reste assez proche. Et le cinéaste impose son style inimitable. S'il peut sembler kitsh aujourd'hui, CARRIE est devenu emblématique des années 70, grande décennie pour le cinéma fantastique. L'emphase de sa mise en scène (ralentis, accélérés, split-screen...), et sa manière d' associer l' horreur avec un certain lyrisme le rend unique. CARRIE n'est pas un film d'horreur conventionnel, De Palma nous émeut vraiment en plus de nous effrayer. Et son atoût majeur reste Sissy Spacek, qui crève littéralement l'écran dans le rôle principal. Entre innocence et perversité, elle rend son personnage touchant, effrayante et pathétique à la fois.
Le premier roman de King que j'avais lu lorsque j'avais 13 ans, en 91, c'était CARRIE. C'est toujours l'un de mes livres préférés. Le remake télévisé, diffusé en 2002, s'il n'arrive pas au niveau du film de De Palma, n'en demeure pas moins très intéressant et jouissif. La version 2013, en revanche, a été une grosse déception.