Xavier Giannoli parsème son cinéma de personnages qui se mentent à eux-mêmes en s'inventant des vies que ce soit par le biais d'une particularité physiologique comme le somnambulisme dans "Une aventure" (2005), une envie d'entreprendre irraisonnée dans "A l'origine" (2008) ou comme dans "Marguerite" par une vocation de soprano poussée à son paroxysme via le refus de la réalité d’une riche héritière. Le récit de "Marguerite" s'inspire donc de la biographie de Florence Foster Jenkins (1868-1944) qui en dépit d'un manque d'aptitudes évident pour le chant, poursuivit pendant 32 ans une carrière de soprano qui la mena jusqu'à se produire en 1944 à 76 ans au Carnegie Hall de New York. Une carrière sans aucun doute rendue possible par les énormes moyens financiers dont disposait Florence Foster Jenkins. On pense bien sûr à la Castafiore dont il se dit qu'Hergé aurait pensé à Jenkins en la dessinant. Giannoli confie avoir penché de son côté pour une ressemblance avec l'actrice Margaret Dumont, souffre-douleur favori des Marx Brothers, qui n'aurait jamais eu conscience de son réel statut dans les comédies des frères Marx. Le cadre de l'intrigue de "Marguerite " a été transposé en France pour plus de vraisemblance et le rôle confié à Catherine Frot sans doute une des rares actrices françaises à pouvoir rendre le mélange de pathétique et de candeur de la situation. Pourquoi donc cette femme s'évertue-t-elle à chanter l'opéra alors que sa voix semble à tout bout de champ lui indiquer qu'il vaudrait mieux pour elle et les oreilles des autres qu’elle renonçât ? Parce ce qu'elle ne s'entend pas chanter nous dit-on ! Argument bien maigre que Giannoli a choisi d'habiller d'une histoire d'amour contrarié qui conduirait Marguerite, épousée par un noble déchu uniquement pour son argent (André Marcon), à chercher le respect dans le regard de son époux pour n'y trouver que honte et dédain. On semble s'éloigner avec ce prétexte, plusieurs fois réaffirmé par Giannoli, des réelles motivations de Florence Foster Jenkins qui avait semble-t'il décidé d'assumer sans entrave sa passion enfantine pour le chant lyrique. Ce parti pris fait perdre au film le côté libertaire de la démarche de Jenkins pour la cantonner à une vision plus classique et surtout plus conventionnelle. Certains critiques se sont pris à rêver de ce qu'aurait pu apporter à "Marguerite" une Arielle Dombasle interprète d'une vision plus explosive et jouissive de ce destin iconoclaste. A y réfléchir on tenait sans doute-là une Castafiore de premier choix. Giannoli, inspiré par des films comme "Elephant man" de David Lynch (1980) ou "Sunset Boulevard" de Billy Wilder (1950), a voulu donner un ton plus grave à son film, marquant d'emblée sa veine référentielle en faisant du valet Madelbos (Denis Mpunga) l'alter ego d'Erich von Stroheim, le majordome protecteur, amoureux transi de la star du muet recluse dans sa villa devenue tombeau, interprétée par Gloria Swanson dans le film de Wilder. Devenue une sorte de monstre de foire un peu masochiste, Marguerite, victime de tous les sentiments malsains de son entourage (mari, valet, professeur de chant...), s'enfonce doucement dans la folie, laissant, selon la volonté de Giannoli, tout le fardeau de ce gâchis sur les épaules de son époux adultère. Tout en conservant les grandes lignes biographiques du sujet, le réalisateur en propose une vision réductrice qu'il n'a pas réussi à transcender par l'atmosphère de tubéreuse recherchée en vain dans les deux chefs d’œuvre mortifères cités plus haut. Du coup la prestation de Catherine Frot pourtant touchante à certains moments, ne parvient jamais à atteindre la folie que le sujet méritait. Cette impression d’académisme renforcée par la reconstitution assez figée n’est pas effacée par les scènes de chant qui ne sont pas loin s’en faut à la hauteur des attentes. Stephen Frears serait en préparation d'un biopic avec Meryl Streep dans le rôle de Jenkins. Gageons que le cinéaste anglais, plus souvent qu’à son tour iconoclaste, s'approchera davantage de la folie de l'entreprise.