Pas besoin d’aimer l’Opéra ni même la musique classique pour entrer de plein pied dans « Marguerite » et Catherine Frot y est pour beaucoup. Avec une douceur et une subtilité magnifique, elle se glisse dans la peau de cette femme du monde, terriblement seule et malheureuse en amour, qui trouve consolation dans un amour immodéré et sincère de la musique. Les scènes où elle chante, horriblement faux, sont à la fois drôles et terriblement touchantes car Marguerite y met tout son cœur, toute sa sincérité et même si nos oreilles souffrent (et elles souffrent !), notre cœur est touché. Catherine Frot est parfaitement bien entourée, par André Marcon d’abord. Il tient le rôle très complexe du mari de Marguerite. Assez antipathique, cynique et intéressé au début du film, son personnage évolue au fil des minutes pour devenir franchement touchant. Son silence coupable, subtil mélange de lâcheté et de tendresse pour son épouse (qu’il trompe pourtant allègrement) nous semble de plus en plus compréhensible au fil du temps qui passe, de plus en plus sincère, si tant est qu’un mensonge puisse être sincère ! Michel Fau, pour sa part, bénéficie d’un rôle moins nuancé, plus caricatural mais, en chanteur d’Opéra sur le déclin, professeur de chant d’une chanteuse exécrable, il apporte une touche de folie et d’humour très réussie. Il y a beaucoup d’humour dans « Marguerite », surtout dans les dialogues (très bien écrits) mais ce n’est pas un humour acide ou cynique comme on aurait pu le craindre. A chaque fois que l’on rit, même si la voix de « Marguerite » en est à l’origine, on ne rit jamais d’elle directement mais plutôt que l’attitude des autres. La scène où Divo découvre la voix de sa future élève, où la caméra ne quitte pas son visage, est irrésistible. Catherine Frot illumine chaque scène de « Marguerite », je ne sais pas si c’est elle qui chante si faux où si elle a été doublée, mais si c’est elle qui chante vraiment, c’est remarquable car j’imagine que çà doit être difficile de chanter volontairement faux ! D’ailleurs, j’ai remarqué pendant la projection que les scènes chantées justes sonnaient bizarrement faux alors que les scènes chantées faux sonnaient terriblement justes ! C’est peut être un ressenti tout personnel mais à chaque fois qu’on était censé entendre du vrai opéra par des vrais chanteurs, çà faisait « mal doublé », on n’y croyait pas ! C’est peut être parce que le personnage de Marguerite est le plus sincère de tous, elle est la seule qui ne triche pas, ne ment pas, ne se dissimule pas derrière une réputation usurpée ou une pose d’artiste-maudit. Le travail de réalisation de Xavier Giannoli m’a, contrairement à tous les autres films que j’avais vu de lui, cette fois sauté aux yeux. Beaucoup de jolis plans, beaucoup de travail sur la lumière (contrastes, jeux de clair obscur…), une utilisation intelligente de la musique et pas seulement de la musique d’Opéra, travail de reconstitution de l’époque soignée et bien mis en valeur. Vraiment, « Marguerite » est un film très maîtrisé qui ne souffre que de quelques petits défauts. Il est peut-être un poil trop long sur la fin et surtout il se termine sèchement et de façon très frustrante. Je sais que c’est la mode de finir les films de cette manière, de laisser le spectateur figé sur son fauteuil, de le couper dans son élan mais moi, çà commence à me déplaire franchement. Je crois l’avoir déjà fait remarquer à l’occasion de la fin de « Comme un avion ». Cette fois-ci, dans le cas de « Marguerite », ce n’est pas que Giannoli ne savait pas comment finir, c’est qu’il choisit de finir sur une image difficile sans donner d’explication, et il nous laisse avec un gros point d’interrogation en tête. Mais à part cette fin abrupte, « Marguerite » tient étonnement bien la distance, grâce à un casting s’exception, à des rôles très écrits et complexes et à une réalisation soignée. Le scénario est bien plus crédible que le pitch ou même la bande annonce pourrait le laisser croire. Il est des mensonges qui peuvent durer, s’enraciner et ce serait bien sous-estimer la lâcheté et le cynisme des Hommes que de croire le contraire. Pris dans le tourbillon du mensonge, le personnage de Marguerite fonce tête baissée vers sa perte et comme il n’y a aucun miracle à attendre, le film est écrit comme une tragédie en cinq chapitres, on pourrait dire en cinq actes, et donne l’impression d’un train fou sans frein lancé à pleine vitesse. Plus le mensonge est ancien, plus la vérité est indicible. A mes yeux, « Marguerite » n’est pas un film sur une imposture mais sur la sincérité d’une femme entourée par des gens qui le sont bien peu. Les imposteurs, ce sont ceux qui lui mentent, qui lui font des compliments à double sens, qui rient d’elle dans son dos. Le monde de 1920 comme celui de 2015 est bien cruel avec les gens sincères.