Cette Marguerite est un formidable personnage de cinéma. Xavier Giannoli lui confère une dimension comique et tragique à la fois, en déployant une belle complexité psychologique. Il nous montre une femme naïve, excentrique, ridicule malgré elle. Il nous montre aussi une femme blessée qui, à défaut de recevoir l'amour d'un mari fuyant, comble sa vie de musiques et de chants. Une femme qui rêve sa vie pour ne pas avoir à la vivre, qui plonge dans une passion folle pour se sauver de la folie... À partir de ce portrait haut en couleurs, le récit essaime habilement dans différentes directions thématiques. Il y a d'abord une réflexion sur la "monstruosité". Car Marguerite est bel et bien un monstre aux yeux de son mari (qui emploie d'ailleurs le mot auprès de sa maîtresse). Elle l'est aussi pour une société qui se gausse de cet "animal de foire" ingénument consentant, de sa façon d'exhiber sa voix difforme. Cette "monstruosité", cette "anormalité" disent en contrepoint le conformisme, l'hypocrisie et la lâcheté de l'aristocratie des années 1920, chahutée par un courant anarchiste qui partage avec son ennemi un même sens douteux de la manipulation. Voilà qui dessine une belle et nuancée reconstitution d'époque, sur la forme (décors, costumes) comme sur le fond (tableau social et politique). Mais surtout, en bon réalisateur, Giannoli s'applique à décortiquer cette histoire de vérité et de mensonge sous l'angle de la mise en scène, de la mécanique d'illusion qui permet à Marguerite de se vivre en héroïne d'opéra. Il le fait grâce à un personnage trouble, le domestique Madelbos : à la fois ange-gardien et inquiétant gardien d'une prison-fiction. Par le biais de la photographie, et à grand renfort de décors et de costumes de scènes, il permet à sa patronne de s'imaginer dans des rôles qu'elle n'a jamais tenus, de se créer ainsi une carrière fictive. Il est aussi toujours là pour rassembler une audience bienveillante, s'assurer de la complicité d'autres acteurs (notamment celle du fameux maître de chant et ses "assistants") et couper tout rappel à la réalité (ces petites coupures de presse assassines mises de côté)... Il est encore là, à la fin, pour immortaliser le "sacrifice de l'héroïne" (de son héroïne) à travers l'objectif de l'appareil photographique. C'est finalement lui le grand manipulateur, le grand voyeur, le grand metteur en scène de la folie de sa patronne. Et le double du réalisateur, pour une belle mise en abyme. Dommage que Giannoli pousse son dispositif un peu loin lors du dénouement, jusqu'à un artifice appuyé. L'hypermaîtrise du sujet verse un peu dans l'hypersignifiance au détriment de l'émotion. Mais le film demeure globalement très réussi, très riche dans ses tonalités (drôles, pathétiques, cruelles), grâce à une réalisation intelligente, des dialogues subtils et forts, et une interprétation excellente : Catherine Frot, André Marcon, Denis Mpunga et Michel Fau en tête.