Tout le monde -enfin tous ceux qui s'intéressent à l'Opéra- ont entendu l'ineffable Florence Foster Jenkins zigouiller la malheureuse Reine de la Nuit. Supposons que vous ne connaissiez pas: foncez sur You Tube où l'air est de plus illustré par d'hilarantes photos de chats au bord du suicide...
Si ladite Jenkins a évidemment inspiré Xavier Giannoli, il a magnifié un personnage qui devait être assez exécrable pour créer une héroïne touchante -d'autant plus que l'excellente Catherine Frot nous la rend totalement humaine.
Marguerite a épousé le baron Dumont; il apportait le titre, elle apportait le fric. Mais dans le deal ils n'étaient pas à égalité; elle était très amoureuse, il avait une liaison ailleurs. Alors, frustrée d'amour, elle se tourne vers le monde où tout est beau, où les souffrances sont magnifiées, où les héroïnes sont, en pleine lumière, trahies, abandonnées, le monde magique de l'Opéra. Toute seule, elle s'exerce au chant; puis elle se produit pour un groupe de charité (les orphelins de guerre: on est en 1920) où tout le monde l'adule: des donateurs aussi richissimes, ça se soigne.... Elle devient l'égérie d'un petit groupe de journalistes, artistes, anarchistes, elle est trop! elle est nulle, donc surréaliste, forcément surréaliste.... Elle vaut un urinoir retourné. Dans son monde imaginaire, dans son délire, lui vient l'ambition de se produire sur une vraie scène. Elle a assez d'argent pour louer le théâtre des Champs Elysées pour une soirée....
Elle a, à vraie dire, un complice: Madelbos (Denis Mpunga) son chauffeur noir /majordome /pianiste -mais aussi photographe car elle pose dans des costumes rachetés aux théâtres lyriques, pour décorer ses murs d'affiches semblables aux affiches officielles... On se demande la raison de ce dévouement sans faille: à la fin, on comprendra que Madelbos, lui aussi, a un sacré grain.
L'excellent André Marcon donne du mari, Georges, un portrait d'une extrême délicatesse qui le rend sympathique alors qu'on pourrait le détester: c'est le seul à pouvoir dire "Marguerite, vous chantez faux!" -mais il ne le fait pas. Il est trop lâche? Enfin, il ne veut pas d'histoires.... Il se contente juste de tomber en panne avec son automobile sport, au moment précis où Marguerite doit se produire. C'est qu'il l'aime bien, son épouse, même si il n'est pas amoureux d'elle. Il ne veut pas lui faire de peine. Il veut la protéger. Même si elle lui fout la honte....
En prévision de la grande soirée, Marguerite engage un professeur -c'est le moment le plus farcesque du film- Pezzini, un ténor à bout de course qui ne reçoit plus que des tomates (on se demande bien alors pourquoi le faire doubler dans Paillasse par un enregistrement de Mario del Monaco?). Michel Fau en fait des tonnes. On est un peu sur la scène de la Grande Eugène.
Si on veut continuer à pinailler, on peut dire que Catherine Frot chante un tout petit peu trop faux. Il suffisait d'être aussi abominable que la Jenkins.... ça suffisait. Ecoutez, vous comprendrez. Il s'agit de la Reine de la Nuit. L'air à peu près le plus difficile de tout le répertoire, à telle point que les sopranos d'agilité les plus douées sont à la limite de la laideur. Fallait il donc que notre Catherine massacre aussi à ce point l'air bien connu de Chérubin, qui est au contraire très chantant, on peut dire abordable, tout comme celui de Carmen, même si elle transpose des tessitures de mezzo parce qu'elle s'imagine colorature?
Ces quelques réserves de puriste du chant mises à part, Giannoli a conçu une bien jolie fin pour ce mélodrame gai. L'histoire de quelqu'un de touchant et de fragile qui n'était pas faite pour le monde réel, et qui pensait avoir sa place dans le merveilleux univers du grand art. J'ai adoré ce film dans lequel je me suis un peu reconnue.... Moi, c'est Brünnhilde et Turandot, mais le micro de mon iPhone m'a hélas dit tout de suite ce qu'il fallait en penser....
Décors, costumes, tout est chiadé -avec une très belle image. A voir!