A première vue, "Nerve" a tout du film de divertissement américain parfaitement formaté pour les adolescents d’aujourd’hui, la fameuse « Génération Y » ; on était donc en droit d’avoir peur de se retrouver devant une péloche prévisible et sans grande originalité, privilégiant au maximum la forme plutôt que le fond. Cependant les deux réalisateurs (Henry Joost et Ariel Schulman : "Paranormal Activity 3&4"…mouais, je sais : c’est pas des références !), ont bien été obligés de respecter un cahier des charges (à savoir ici une jolie romance adolescente ancrée dans une sorte de thriller), mais sont parvenir malgré à bien réfléchir aux thèmes abordés en nous propose une vision assez virulente de l’importance du pouvoir des réseaux sociaux et des manipulations possibles liées à Internet dans l’unique but d’éveiller les consciences de tous. L’intention est louable et le résultat est plus qu’honnête puisque les réalisateurs parviennent à nous happer très rapidement dans leur récit en nous le calquant le plus possible sur notre quotidien : la première fois que nous voyons Vee, l’héroïne, elle allume son ordinateur en vue subjective (comme si on était derrière l’écran de l’ordi), elle lance Spotify, ouvre Google Chrome pour aller sur Gmail, puis elle part dans une conversation sur Skype tout en observant l’actualité d’un garçon de son lycée sur Facebook…si certains ne verront là que des placements de produits faciles, cela sert surtout à garder captifs les spectateurs en leur indiquant que le quotidien de Vee n’est autre que le leur à la virgule près. En matière d’identification au protagoniste, on ne peut difficilement faire mieux ! Ensuite, le film va nous faire découvrir par l’intermédiaire de Vee mais surtout de sa meilleure amie Sydney le dernier jeu à la mode qui fait fureur parmi les djeuns et auquel Vee finira par participer malgré quelques réticences. En quelques minutes, le film commence à instaurer une certaines ambiances de doutes : l’inscription au jeu nous laisse entrevoir que le site se connecte directement à toute votre vie virtuelle (compte de banque en ligne, compte Facebook, boîte mail…), puis le déroulement du jeu lui-même va crescendo dans le bizarre puisque, si au début les défis semblent anodins et amusants, les challenges deviennent de plus en plus dangereux. Le pire, c’est que, comme les récompenses pour l’accomplissement du défi deviennent de plus en plus importantes, les participants de sentent comme « obligés » de ne pas refuser chaque nouveau challenge au péril même de leur vie. (
voir le défi insensé de la moto !
). Et c’est dans cet incroyable cercle vicieux que le jeu va vite devenir incontrôlable, se transformant en véritable cauchemar autant pour les joueurs que pour le spectateur dans la salle. L’intelligence de "Nerve", c’est de proposer certes une critique de la technologie actuelle, mais aussi une critique au vitriol de la mentalité humaine actuelle : le jeu propose d’utiliser le voyeurisme et l’exhibitionnisme de chacun, et d’exacerber au paroxysme le désir d’être reconnu et d’obtenir une certaine forme de célébrité, même si elle est éphémère et non justifiée. Le meilleur exemple est Sydney : si Vee se laisse gentiment prendre au jeu avec des défis sans conséquence grave pour se faire un peu d’argent de poche, Sydney est prête à tout sans aucune honte ni dignité pour être l’une des joueuses les plus populaires et ainsi parvenir : seule l’appât du gain et la célébrité compte pour elle ! Ce personnage représente parfaitement la nouvelle génération narcissique influencée par les fléaux intellectuels du XXIè siècle (la télé-réalité, Instagram, Facebook, Periscope…) et ne recherchant que l’argent facile sans se fatiguer ! Jusqu’à ces deux tiers, "Nerve" est donc un film original, intelligent et prenant ; cependant c’est son dernier acte qui blesse : partant dans le genre du thriller urbain, le récit arrive dans une impasse avec l’obligation de proposer une fin potable. Si cette dernière est parfaitement logique (
Si il n’y a plus de followers, ici les fameux « voyeurs », le système s’écroule et le site meurt
), c’est tout ce qui la précède et l’amène qui patauge dans la semoule : entre le dernier défi complètement WTF, le comportement quasi inhumain des spectateurs ultra exagéré (et c’est pas des marseillais pourtant !! ^^) et le discours méga moralisateur de Vee sur les actes, les conséquences et les responsabilités de tous, ce dernier acte donne l’impression d’un indigeste gloubiboulga qui manque cruellement de finesse. Côté acteurs, il y a certes peu de protagonistes principaux, mais ils sont plutôt convaincants : Emily Meade est parfaite en jeune fille obsédée par le paraître, le regard des autres et la célébrité ; quand à Emma Roberts et James Franco, leur duo fonctionne très bien en proposant à l’écran une certaine alchimie touchante. "Nerve" est donc un film plutôt sympathique à la réalisation soignée et propre à lui (les différentes informations « virtuelles » s’inscrivent en surimpression sur l’écran, ce qui donne à la bobine un emballage « jeu vidéo » agréable) qui demeure assez prenant (certains défis sont réellement sympathiques, comme celui de
l’échelle
). S’il n’est pas exempt de quelques maladresses (une romance « obligée » amenée de telle façon qu’elle ne s’avère pas crédible du tout…en plus d’être inutile ; le final fouillis qui aurait mérité un meilleur traitement), il a le mérite de mettre l’accent sur les méfaits d’Internet (données personnelles collectées, dangerosité des réseaux sociaux, comportements amoraux) telle une satire moderne. La seule chose qui m’inquiète un peu c’est que le message ne soit pas compris par ceux à qui il s’adresse : plutôt que de se rendre compte du côté dangereux du monde dans lequel ils vivent, j’ai peur que demain se créent des pages Facebook proposant le même principe de jeu que Nerve…j’espère que l’être humain moderne n’est pas si désespéré que ça…