Enfances Nomades, enfin un film de cinéma
La comédie romantique hollywoodienne en VOD, on n’en peut plus ! Le film comique qui se termine par une happy end moraliste sur la TNT, on sature. Le porno chic où vont s’encanailler les bobos, c’est trop. Par mithridatisation, nous sommes insensibilisés au poison que constituent ces films produits en chaine et incontournables à force d’envahir notre environnement.
Avec Enfances Nomades, nous n’avions pas eu la chance de voir un réussi aussi film depuis «Atanarjuat: la légende de l'homme rapide" (camera d’or en 2001) qui se déroulait chez les Inuits.
Ici et en Asie centrale, la vie des enfants nomades est montrée avec réalisme mais sans pathos, la fin d’un mode de vie décrit avec empathie mais sans raccourci, la sensualité sans vulgarité, l’étranger sans caricature.
Le premier lieu, le Tibet y est tout simplement sublime quand ces immenses plaines entourées de montagnes s’accordent avec la profondeur des sentiments des personnages qui les contemplent, presque métaphysique. Le deuxième lieu, la Sibérie, est sidérant voire sidéral : où sommes-nous ? Cet endroit ne fait pas partie des représentations préenregistrées dans l’imagerie de notre inconscient collectif nourrie par des médias stéréotypés; Nul besoin de science fiction pour découvrir un nouvel univers, juste d’un réalisateur qui ne filme pas dans les grands spots habituels et qui s’est intéressé à tous ces peuples et leur histoire. Le troisième lieu, la Mongolie, présente ses facettes extrêmes : des grandes steppes vertes aux bidons villes post industrialo-apocalyptiques d’Oulan-Bator dans lesquels des yourtes y sont tristement sédentarisées.
Non pas que les grands ressorts qui animent notre dramaturgie, comme l’amour, le deuil, la peur, le rire soient différents pour un Parisien que pour un nomade de Sibérie… mais le fait de décaler ces thèmes de 9 fuseaux horaires, de 70° Celsius, de 5300 mètres d’altitudes et de 10 000 ans de chemins différents entre sédentaires et nomades, leur donne un relief unique. C’est l’universalité de l’homme que partage Enfances Nomades parmi les cultures les plus différentes qui puissent exister. Et bravo pour cette façon poétique de rythmer ce film par les saisons, inversement chronologique au chemin de vie d’une histoire qui commence par la mort et finit par l’amour en passant par la naissance.
A regarder absolument et maintenant car on ne peut filmer qu’une fois la fin d’un monde. La lumière est utilisée tout en nuances à l’image d’une histoire sincère sans artifice racoleur. Et oui, la technique permet de nourrir la poésie : l’avènement des technologies numériques professionnelles permet d’avoir une image si exceptionnelle dans des conditions si exotiques pour la production qu’on a l’impression d’être les premiers à contempler aussi bien ces mondes perdus.
Christophe Boula qui a tourné 3 ans pour ce long métrage est un peu le Fellini de Mongolie, le Hitchcock de Sibérie et le Buñuel du Tibet (me comprendront ceux qui auront la bonne idée d’aller le voir) mais a surtout son propre style qui fait l’unité de cette œuvre singulière.
Vincent Fortin