Auréolé de la Chistera du meilleur réalisateur au Festival international de Saint-Jean-de-Luz de 2015 et nommé à la Caméra d’Or au dernier Festival de Cannes, avec Les cowboys, Thomas Bidegain signe un premier film audacieux emprunt de la nostalgie d’une époque révolue.♥♥♥♥
Comme à l’accoutumée, Alain emmène sa femme et ses deux enfants à un sympathique et amical rassemblement country. Sa fille de 16 ans, Kelly, disparaît. Refusant d’admettre une fugue, Alain entame des recherches à l’échelle de sa région. Dix ans plus tard, elles le conduiront jusqu’au Yémen. Très rapidement, il fait de son jeune fils Georges (surnommé Kid), le fidèle compagnon de route à l’affût du moindre indice pour retrouver sa sœur.
On est en 1994 dans l’Est de la France. Alain peaufine les derniers détails de son entrée au festival country du coin. Colt à la ceinture et coiffé d’un Stetson, il ajuste un bandana au cou de sa fille. Dès les premières scènes, un sentiment de douceur et de légèreté émane des images filmées au ralenti, dans une fraîcheur automnale que souligne la diaphanéité de la lumière. On assiste à de beaux moments fugaces, comme ces échanges de regards sur cette danse avec un père et sa fille que le réalisateur semble vouloir faire durer en les répétant sur le Tennessee Waltz de Patti Paige. Ces petites choses de la vie qui nous glissent entre les doigts et nous échappent s’étirent alors le temps de cette chanson. Et puis tout bascule, Kelly devient introuvable. Personne ne l’a vue quitter les lieux de la country fair, pas même ses copines de lycée. Tandis que sa mère la pense naïvement dans les bras de son amoureux clandestin, un certain Ahmed, Alain fouille la chambre de sa fille et tombe sur des cahiers d’apprentissage de la langue arabe. Ignorant jusqu’alors l’existence de ce garçon, il rend une visite impromptue au père de ce dernier. Décontenancé par ce qu’Alain lui montre, le père d’origine arabe lui apprend que ces écrits sont de la propagande liée au djihad. Depuis plusieurs semaines, Kelly se préparait à quitter sa famille.
Il est difficile de ne pas être enthousiaste face au minutieux travail de Thomas Bidegain qui se paye le luxe d’adapter librement La prisonnière du désert. Scénariste de métier, il a fait ses armes sous la houlette de Jacques Audiard avec Un prophète et De rouille et d’os, films pour lesquels il reçoit respectivement les césars du meilleur scénario original et de la meilleure adaptation. En transposant l’histoire dans notre société actuelle, les cowboys (membres de la communauté country) sont amenés à se battre non pas contre des Indiens, mais des musulmans arbitrairement fustigés pour des actes perpétrés par une poignée d’entre eux. Malgré tout, si ce père de famille est persuadé que sa fille ne s’est pas enfuie, jusqu’aux trois quarts du film le réalisateur reste neutre et n’impose pas sa vision des faits : on ne saura jamais si Kelly est partie de son propre chef ou si elle s’est faite endoctrinée par des rabatteurs pour aller combattre au nom d’Allah. Au fond, le film ne fait que raconter l’histoire de gens ordinaires qui vont vite être dépassés par des événements auxquels ils n’avaient alors jamais été confrontés. En effet, une des forces du métrage est de situer son récit au milieu des années 90, lorsque le mouvement djihadiste n’en était qu’à ses débuts. Dès lors, quand des années plus tard Kid suit les traces de son père et se retrouve face aux images de 9/11, c’est celle de sa sœur qu’il voit à travers cette action. Ces attentats de septembre 2001 apparaissent alors comme une vitrine du terrorisme moderne facilitant de nombreux « élus » à transiter de pays en pays, les frontières étant devenues des passoires. Pourtant le film n’en demeure pas moins d’actualité et fait écho aux nombreux actes de barbaries revendiqués par Daesh. Selon les services de renseignements français, il y aurait de nos jours plus de 900 personnes (dont presque la moitié serait des femmes) souhaitant se rendre en Irak ou en Syrie pour « faire le djihad ». En ce sens, le film colle à la réalité et brosse un portrait plutôt sombre et fidèle de la situation en développant son intrigue sur une décennie de souffrance pour cette famille laissée dans l’incompréhension totale et le doute de ne jamais obtenir de réponses. Dix ans de recherches pour Alain au détriment de sa vie de famille. De police en minables magouilles, toutes les combines sont bonnes pour retrouver sa fille. Il sacrifiera même l’enfance du Kid qui prendra sa relève une fois acculé par la fatalité, troquant les après-midis goûters contre des visites impromptues dans des quartiers défavorisés peuplés d’immigrés musulmans ou encore à l’étranger.
Moins politisé que son cousin Made in France, Les cowboys surprend par son sens du spectacle et de l’épique, notamment dans l’utilisation des codes du western. On pense, entre autres, à la magnifique scène en contre plongée où Alain et son fils sont poursuivis sur des toits de HLM par des barbus qui s’apparentent ainsi à des Indiens sur leurs collines. À l’inverse, la présence de John C. Reilly en chasseur de primes des temps modernes nous laisse circonspect, tout comme les ellipses de la seconde partie du film qui s’avèrent souvent maladroites (car trop ambitieuses) souffrant d’un canevas décousu et surtout exigeant pour le spectateur. Toutefois, l’œuvre captive dans son ensemble grâce au jeu des acteurs qui ont la part belle. François Damiens incarne avec justesse ce père, dépassé par les événements, dont la douleur indicible, synonyme de colère puis de rage, est enfermée par un cadrage resserré sur les maux de son personnage. Le réalisateur dira de l’acteur« …il peut rester crédible avec un chapeau de cow-boy sur la tête. Quand il se lève, il y a du John Wayne chez lui. Je voulais un John Wayne, un homme, fort, qui prend son destin en main et refuse catégoriquement d’être une victime. ». Le jeune Finnegan Oldfield n’est pas en reste et offre une prestation toute en retenue, servant de passerelle entre deux cultures.
Pour un premier film, il en fallait du cran pour oser s’atteler à une adaptation moderne du classique de John Ford. Thomas Bidegain relève le défi haut la main en sortant de l’ombre d’Audiard et fait montre d’un sens aigu du détail et de la mise en scène. Tout est là, des codes du western jusqu’à la direction photo en scope anamorphique qui permet ainsi de conférer à l’intrigue un caractère aventureux. Même la musique de Raphaël convainc et arrive à surprendre sans que le spectre de l’horreur ne se fasse sentir. À l’image de ce premier plan où Alain est face à l’immensité d’une cascade, son odyssée pour retrouver Kelly renvoie à notre propre nature, mais à quel prix ?