Avec The Sea is behind et son noir et blanc, Hicham Lasri voulait raconter le refroidissement d’une société qui passe de la tolérance à l’intolérance. A titre d'exemple illustrant ce changement, le fait que le héros du film s'habille en femme était quelque chose de banal il y a une quinzaine d'années, mais plus aujourd'hui. Le metteur en scène explique :
"Comme dans C’est eux les chiens, je voulais donc raconter le télescopage entre une vision du passé, celle d’un homme habillé en femme et qui danse parce qu’à l’époque les femmes n’étaient pas censées danser, et la société actuelle, qui est davantage conservatrice. Je voulais également ramener la métaphore d’une société mourante à travers la figure du vieux cheval. Quelque chose est en train de disparaître, de s’éteindre, de se dissoudre dans la réalité, et cette réalité n’est pas très reluisante, d’autant qu’il y a, au milieu de tout cela, ce noeud narratif très important qui est celui de la perte de la famille. Il s’agit cette fois d’un père qui perd ses enfants. Et il y a un autre père, celui de Tarik, qui est en train de perdre son vieux cheval qui est à ses yeux son bien le plus précieux, encore davantage que son fils. C’est également ce drame qui tisse le désespoir du héros, ainsi que du monde dans lequel il évolue. J’aime bien l’idée de montrer un monde souillé, où il n’y a plus d’espace pour la tolérance ni pour l’espoir. C’est un monde alternatif, parallèle au nôtre en effet, dans lequel je ne montre pas de gens « ordinaires ». Il s’agit presque d’un pays de science-fiction, qui renvoie d’ailleurs au monde dépeint dans mon roman Stati©. Mais cela ne m’empêche pas de montrer des choses actuelles, comme l’intolérance bien sûr, mais aussi la prostitution, la zoophilie… Mais une fois de plus je n’en parle pas au premier degré, donc ça crée forcément un décalage, et l’on évite ainsi le jugement direct."
Hicham Lasri a cherché à représenter un monde où il n’y a pas d’émotions, ce qui fait que quand une émotion apparaît, elle est mise en avant par l’utilisation de la couleur. Le réalisateur confie : "À un moment, un personnage reçoit un coup, et retentit alors une explosion en couleur qui renvoie directement au cartoon, ce qui permet d’apporter de la dérision à cette scène. Il y a également les ongles des orteils de la femme qui sont colorés, ce qui suggère l’émotion que ressent Tarik, et le plan final du film, qui montre la mer en couleur, peut suggérer l’idée que le héros va peut-être connaître des jours meilleurs."
Comme dans The End et C’est eux les chiens, The Sea is behind traite de la question des relations complexes entre les générations, plus précisément entre les parents et leur enfants. Hicham Lasri explique ainsi avoir eu avec son père des rapports extrêmement denses, mais aussi très compliqués au moment de son adolescence :
"Nous n’étions plus sur la même longueur d’ondes. C’était l’adolescence, et ce besoin de « tuer » les parents… Nous avons eu pendant très longtemps des relations assez ombrageuses, et je ne me rendais pas compte, en faisant plus tard des livres et des films, que je ne racontais que cette histoire. Je ne faisais que la ressasser, avec des variantes de plus en plus denses. Ce n’est qu’après The End que j’ai réalisé que ce n’était que d’histoires de pères : le roi est lui-même le père de la nation ! Cela se voit aussi, bien sûr, dans C’est eux les chiens et dans The Sea is behind. Mon père joue d’ailleurs un rôle dans The Sea is behind ainsi que dans Starve Your Dog, dans lequel il reçoit une bicyclette en pleine figure … J’ai tué mon père dans mon propre film, car il n’a pas voulu m’acheter de bicyclette lorsque j’étais enfant !"