Au départ, il y a une tradition, celle des vierges sous serments, toujours en vigueur dans certaines contrées de l’Albanie rurale, qui veut qu’une femme puisse, si elle ne souhaite vivre sous la tutelle de son mari, faire le serment de rester vierge et se transformer en homme. S’inspirant d’un livre contant cette coutume inquiétante, la réalisatrice Laura Bispori signe ainsi avec VIERGE SOUS SERMENT un premier long métrage original, émouvant et formellement très abouti.
Ce qu’il faut souligner en premier lieu, c’est la singularité du traitement. La réalisatrice ne s’attache pas à la dimension politique ou la question de la transsexualité que pourrait susciter un tel sujet mais dépeint plus universellement la conquête d’une liberté, une émancipation corporelle qui va au-delà de la simple opposition masculin-féminin. Le point de départ est d’ailleurs très mystérieux et nous ne découvrons que plus tard les raisons d’une telle transformation. Cette tradition ancestrale est une manière de parler de quête d’identité, d’un propos plus universaliste que la seule composante sociale de cette pratique.
Nous suivons ainsi deux pans de la vie de Mark / Hana : d’un côté, son arrivée en Italie auprès de son amie d’enfance, soit la reconquête de sa féminité et de l’autre, sous forme de flashbacks, son adolescence dans les montagnes albanaises et sa transformation de femme en homme soit la perte de sa féminité. Le film fonctionne ainsi très subtilement de manière binaire.
Tout d’abord, l’œuvre présente l’évidente opposition entre la ruralité des montagnes albanaises et l’urbanité de la vie italienne, entre un monde sauvage et une société moderne, tous deux exposés de manière très juste. La réalisatrice ne dresse, en effet, à aucun moment un portrait à charge de l’une ou l’autre des régions mais s’intéresse à l’inconfort de l’héroïne à vivre dans ces deux espaces. Cette dernière semble être en phase avec la nature et la ruralité des montagnes mais refuse la soumission morale que cette vie implique. D’un autre côté, l’espace urbain est vu comme une agression mais l’état d’esprit libertaire de la ville va permettre son affranchissement. C’est d’ailleurs sa fidélité aux montagnes albanaises, à ‘’ses’’ terres, qui, alors qu’elle avait la possibilité de s’enfuir, l’obligeront à rester. En cela, l’œuvre fait écho au film colombien ayant reçu la caméra d’or à Cannes cette année, La terre et l’ombre, qui démontrait lui aussi comment l’attachement à une terre pouvait parfois être plus fort que la promesse d’une vie confortable.
C’est ensuite l’héroïne en elle-même, à la fois homme-femme, timide et audacieuse, émouvante et froide, qui fait preuve d’un antagonisme absolu. L’imprégnant d’une complexité et d’une dualité indispensable au rôle, Alba Rohrwacher nous livre une performance d’actrice incroyable et est pour beaucoup dans la réussite du personnage. La protagoniste acquiert d’ailleurs peu à peu la confiance en soi nécessaire à la découverte d’elle-même, de ses désirs, de ses envies. L’omniprésence de la neige des montagnes et l’eau de la ville italienne (la fille de son amie fait de la natation synchronisée) sont alors les symboles d’un corps gelé qui peu à peu reprend vie.
Cette omniprésence de la neige et de l’eau (symbole de la pureté) résonne aussi dans la mise en scène. Cette dernière, discrète et épurée, est secondée par une lumière diffuse et des plans élégants, limpides, sans fioriture. Une simple caméra à l’épaule, qui ne quitte pratiquement pas l’héroïne, facilite l’empathie avec le personnage. De même, la tension scénaristique créée par la découverte progressive du dessein d’Hana (en flashbacks) permet de maintenir l’attention du spectateur durant les 1h30 du récit. Cependant, par moments, le mutisme et la froideur de l’héroïne nous laissent à distance, ce bémol étant rattrapé par une scène finale des plus bouleversantes, où le personnage donne subtilement à voir ses émotions.
VIERGE SOUS SERMENT est donc un brillant premier long métrage, remarquablement maîtrisé, délicat, troublant et secondé par un propos intelligent et singulier.
Critique par Melany, pour Le Blog du Cinéma