Troisième long-métrage après notamment Beginners en 2010 qui avait valu à Christopher Plummer l'Oscar du meilleur acteur dans un second rôle l'année suivante, et déjà un style remarquable pour Mike Mills qui met un pas, ou plutôt même les deux, dans un féminisme d'une beauté inspirante et jouissive. On lui doit dans ce film, 20th Century Women, à la fois une réalisation esthétique, portée par des plans aussi charmants que désarmants, et une direction d'acteurs époustouflante qui fait du casting du film un atout fort sur lequel il peut s'appuyer. La réalisation d'abord, elle s'attache non pas à filmer mais à raconter l'histoire de ses personnages, ce en quoi elle est intimement liée au scénario, un bijou d'écriture absolument irrésistible, nommé par ailleurs aux Oscars. Les dialogues sont intelligents et offrent une réflexion très intéressantes sur ce monde des années 1970, à l'aube des 80s, soit à un tournant de l'histoire. Nous sommes plongés, grâce à un travail de reconstitution minutieusement opéré à travers les costumes et les décors mais aussi cette image et l'esthétisme qu'elle renvoie, au sein d'une époque où la contestation de la société de consommation est grande, où les esprits sont alors embarqués par l'universalisme des goûts et où l'évasion demande un recul de la part de chaque être. C'est ce manque de recul du personnage principal, Jamie, qui pousse sa mère, Dorothea, à demander à l'artiste punk (Greta Gerwig) qu'elle héberge chez elle et à sa voisine (Elle Fanning) qui est également la meilleure amie de Jamie de l'aider à avoir l'esprit plus ouvert sur le monde, à regarder autrement l'environnement qui l'entoure, le tout aidé aussi par William (Billy Crudup), un ami très proche depuis qu'il aide Dorothea à rénover sa maison.
Ce groupe de cinq personnages est porté à l'écran par des acteurs au sommet de leur art, et possède une alchimie folle qui permet d'obtenir des conversations toujours intéressantes entre des êtres qui se questionnent énormément qui plus est, amenant la réflexion à un point plus haut encore. Annette Bening et Greta Gerwig sont admirables, elles ne déçoivent de toute façon jamais. La première est excellente en mère attentionnée voulant aider son fils, qu'elle élève seule, et en femme libre essayant d'analyser le monde moderne dans lequel elle a du mal à s'identifier. La seconde se veut libre également, parlant de sexualité sans complexe et initiant Jamie à la vie sexuelle en lui donnant des conseils et des lectures. Le duo que forment Elle Fanning et la révélation Lucas Jade Zumann est profondément touchant et brille par son insouciance. Le paradoxe du film est de parler d'amour pendant presque toute sa durée tout en offrant un duo caractérisé par son amitié ambiguë, à la frontière de l'amour, sans la dépasser. Jade Zumann incarne ce personnage central, le protagoniste de l'histoire, autour de qui gravitent les autres personnages. C'est grâce à lui que le film ne tombe pas dans le piège d'un féminisme exacerbé mais se laisse plutôt bercer par un féminisme nuancé qui sait filmer ces trois femmes et leurs combats, dressant trois portraits, certes différents et complexes, mais qui ne rentrent jamais dans un conflit avec les personnages masculins. Et alors que Billy Crudup aurait pu être la cinquième roue du carrosse, présent seulement pour rééquilibrer les débats entre les deux genres, il est plutôt le cheval qui lui permet d'avancer, ajoutant cette touche particulière de sincérité à un film comportant une galerie de personnages épatante et éclatante.
20th Century Women est donc bien ce petit bijou répondant aux attentes qu'il suscitait, du moins chez les cinéphiles. Car s'il trouve difficilement son public, c'est aussi parce que l'Académie des Oscars n'a pas réussi à comprendre ce film, lui donnant une seule nomination, préférant nommer deux fois un film comme Passengers, ou bien préférant accorder une nomination dans la catégorie meilleure film à Fences...C'est bien là la victoire de 20th Century Women et de Mike Mills. Son oeuvre est en dehors d'une société uniformisée qui voudrait que tout le monde aime tel type de films, sans s'ouvrir vers d'autres genres. Il est difficile de ranger ce long-métrage dans une catégorie, Mills ne souhaite sûrement pas qu'on le fasse, il a créé un film complexe qui critique une société de consommation qui enferme les esprits, les êtres, au lieu de les libérer. Il faut finalement sortir du libéralisme pour être libre. 1979 est donc bien l'année charnière que Mills filme, cette année où le libéralisme commence à changer de définition, où la liberté prend un autre sens, où la liberté commence à demander à chaque individu de rentrer dans le rang. Près de 40 ans plus tard, ce changement des moeurs trouve un écho important avec 20th Century Women, et les Oscars, préférant à ce film des oeuvres plus grand public et surtout, bénéficiant d'une publicité toute autre, ne fait que confirmer la critique de Mills et lui offre un boulevard d'avance dans cette compréhension d'un monde qui change mais qui a commencé à évoluer bien avant. En revenant aux sources du changement, le réalisateur pose le doigt sur la compréhension du problème culturel que rencontre le monde aujourd'hui, à savoir une culture bridée visant l'universalité là où chacun possède sa propre définition de la culture et surtout ses propres goûts. C'est pourquoi, hormis ce véritable et brillant hommage aux femmes, 20th Century Women est aussi une célébration de l'esprit, de la liberté et de la culture débridée et variée.