Polina, danser sa vie est l'adaptation de la bande dessinée "Polina" (vendue à plus de 40 000 exemplaires) de Bastien Vivès. C'est le personnage principal de Polina, jeune danseuse russe, qui a donné envie à Valérie Müller et son compagnon chorégraphe Angelin Preljocaj de faire ce film. La première confie :
"Comment les fragilités, les failles d’un individu peuvent au final être les ressorts de sa créativité et de sa réussite. Depuis que j’ai commencé à danser, j’ai vu des tas de danseurs. Certains étaient très doués, d’autres moins. Et il s’avère que ce ne sont pas toujours les plus doués qui font carrière. Certains sont fulgurants puis s’éteignent d’un coup, qu’ils soient danseurs ou chorégraphes. C’est une forme de longévité, d’obstination et d’endurance qui fait la force de certains artistes. Quand la BD est sortie, je l’ai trouvé très juste à ce propos."
Le film est co-réalisé par Valérie Müller et Angelin Preljocaj. La première a écrit le scénario et le second s'est focalisé du montage. Pendant le tournage, ils s'étaient fixés une répartition au sein de laquelle Angelin s'occupait plus des acteurs et Valérie de la mise en scène.
Pour trouver l'interprète de Polina, Valérie Müller et Angelin Preljocaj ont commencé par chercher des comédiennes qui avaient des formations de danseuses mais se sont rendus compte que leur niveau n'était pas suffisant. Les cinéastes ont alors décidé de chercher en Russie, à Moscou puis à Saint-Pétersbourg. Au total, 600 filles ont été auditionnées jusqu'à ce qu'Anastasia Shevtsova soit retenue. Cette dernière se rappelle :
"J’étais très nerveuse. C’était au Théâtre Mariinsky à Saint-Pétersbourg où je danse maintenant. Il s’agissait d’abord de danser plusieurs extraits puis de jouer en russe et en français ce qui était assez difficile pour moi car je ne parlais pas du tout français ! Puis j’ai été invitée à Paris pour jouer avec les autres comédiens et j’ai été prise."
Née en 1995 à Saint-Pétersbourg, Anastasia Shevtsova est entrée à 10 ans à l’Académie du Ballet russe dont elle est sortie diplômée neuf ans plus tard. Polina danser sa vie est sa première expérience de cinéma et a été tourné pendant sa première année de formation au prestigieux ballet du Théâtre Mariinsky à Saint-Pétersbourg (où elle a été admise).
Valérie Müller et Angelin Preljocaj ont voulu que le film soit plus réaliste que la bande-dessinée. Pour ce, les parents de Polina et leur milieu social ont été développés. La cinéaste témoigne : "Ce milieu modeste, c’est une référence à plusieurs personnalités du monde de la danse. C’est celui d’où vient Angelin mais aussi Pina Bausch, Noureev... On voulait insister sur l’idée que quand on n’a rien, on a toujours un corps et que l’expression d’un corps ne nécessite rien d’autre que du travail !"
Autre différence entre les deux supports : dans le film, Polina ne devient pas danseuse étoile mais chorégraphe émergente. Par ce changement, Valérie Müller et Angelin Preljocaj ont voulu affermir une position presque féministe : "On a beaucoup de grandes danseuses étoiles mais il y a peu de femmes chorégraphes. C’est comme au cinéma où l’on compte encore trop peu de réalisatrices… C’était important pour nous que le parcours de Polina soit celui de quelqu’un qui soit maître de sa vie et qui crée. Qu’elle prenne sa place dans le monde de l’art."
Pour écrire le personnage de Juliette Binoche qui est chorégraphe, Valérie Müller s'est inspirée d’Angelin Preljocaj qui l'est lui aussi. "Il a écrit de nombreux duos où il évoque cette question de la fusion impossible, de la recherche de "l’autre"", précise la première.
Par ailleurs, Juliette Binoche, qui a été elle-même danseuse aux côtés du Britannique Akram Khan, s'est naturellement imposée aux yeux de Valérie Müller et Angelin Preljocaj pour le rôle. L'actrice a même travaillé la danse tous les jours pendant six mois pour qu'elle puisse réellement danser dans le film.
Valérie Müller et Angelin Preljocaj ont utilisé le format scope, qui permet de mieux inscrire deux corps dans le même espace. Ils justifient ce choix : "Le scope permet de garder à l’image deux bras ouverts à l’horizontal ! Et puis pour les duos, on peut avoir deux corps ensemble en plan large. Il y a une danse de l’espace qui est particulièrement visible en scope. Elle raconte ce qui se passe entre les corps. D’autant que l’autre grande question était de savoir si l’on filmait la danse dans le détail ou dans l’ensemble ? Il s’est avéré que les séances de travail seraient plus dans le détail et que les séquences de danse seraient plus larges, plus respirantes, avec une place pour l’espace."
Au moment de la conception de Polina, danser sa vie, Valérie Müller et Angelin Preljocaj avaient comme références Les Chaussons rouges, les films de Fred Astaire ("Pour la fluidité avec laquelle il passe d’une scène jouée à une scène dansée"), Billy Elliot ("Très réussi en terme de chorégraphie") et Pollock ("Où l’on voit comment les évènements de la vie influent sur l’artiste qu’il devient").
Anastasia Shevtsova a appris le français pour les besoins du film. La jeune danseuse pensait qu'elle pouvait répéter les phrases apprises à l’avance mais au moment du tournage, Valérie Müller et Angelin Preljocaj ont souhaité qu'elle sorte de sa zone de confort. Sans compter qu'au moment des prises, les metteurs en scène n’hésitaient pas à changer des choses par rapport au scénario.