J’ai failli y croire, sincèrement, en fait à la base je me demandais juste ce que venait foutre Mike Flanagan dans cette commande qu’on refile d’ordre habituel au premier quidam venu pour nous servir la soupe avec un entonnoir; apparemment Universal a donc eu un éclair de lucidité en confiant à un bon réalisateur le projet de prequel d’un ratage complet, Ouija, histoire de tenter désespérément de sauver les meubles et ainsi enclencher un processus d’accouchement d'une possible saga (?). Sorte de mission suicide en d’autres termes, avec un type qui n'a rien d'une petite bleusaille, choc des extrêmes assez excitant.
L'appréhension positive était déjà permise lors de l’introduction du film et ce côté old school mis en avant : le logo de production 80s, la typographie du générique et un grain style 70 mm où on repérera d’ailleurs par la suite quelques "cigarette burns" ajoutées ici et là; il y a donc une volonté rétro clairement affichée, le truc on ne peut plus à la mode mais plutôt sympa si bien exploité. L’histoire est placée dans les années 60 mais l’esprit se veut eighties, et la première séquence va d’ores et déjà jouer du contre-pied car elle laisse tellement présager la pire absurdité que relativiser avec le côté arnaque organisée c’est un bon point, on ne se fout pas de notre gueule comme dans le dernier James Wan par exemple, il y a un peu de respect. Et du coup la séance de ouija dans la chambre permet de suggérer la tricherie de la fille ainée, sans plonger dans l’occultisme express, et même niveau mise en scène c’est astucieux car on anticipe très facilement le jumpscare de la porte qui s’ouvre, donc la volonté de rupture avec le cinéma d’horreur actuel est établit pour miser sur une ambiance tout à fait efficace et accessoirement ludique.
Niveau scénario ça tient debout durant une bonne partie, Flanagan expose ses personnages et leur dramaturgie familiale, la perte du mari/du père, la reconstruction, le tuteur (joué par Henry Thomas d’ailleurs, alias Eliott de E.T., sans doute un autre clin d’oeil 80s), et c’est la fille cadette qui va se retrouver au milieu de tout ça pour faire basculer le film dans le fantastique, le cadran du jeu va se mettre à bouger tout seul et la menace va s’afficher comme sous-jacente et ambigüe. Là il est obligatoire de prendre le virage tant bien que mal, car la suite va assez sérieusement se gâter,
rien que la représentation démoniaque dans le reflet du miroir est vraiment de trop, imager de cette façon le mal je n’en vois pas l’intérêt, surtout que le thème de la possession se suffisait très bien sans ce détail, là on comble l’imaginaire du spectateur, donc mauvais point
. Et du reste je m’interroge sur l’importance du ouija, n’ayant qu’un rôle bien mince dans l’histoire (à part un plan en particulier), comme un relai de communication éphémère devenant purement grotesque, on le remplace par du spiritisme et c’est quasiment la même chose, le problème étant bien entendu du fait que le réalisateur soit prisonnier de son contrat, pour preuve, sa destruction ne changera rien à l’affaire.
En fait c’est l’instinct de Flanagan pour l’imagerie horrifique qui préserve l’ambiance globale, notamment grâce à une réalisation jouant admirablement du premier et de l’arrière plan, du cut (dont un en particulier rappelant un flip épique de Ring), ainsi que quelques choix de cadres bien sentis. Mais malgré tous ces efforts pour sauver les apparences cela n’empêchera pas la dernière demi-heure de perdre pied et se mélanger les pinceaux entre ce que le film veut insinuer et démontrer, je trouve le second virage très/trop facile, pour ne pas dire atterrissant de nulle part,
le coup du docteur nazi m’a fait gentiment sourciller, car on ne sait plus où va l’histoire, si l’esprit a un rapport avec le père de famille, une entité démoniaque, des fantômes du passé enfouis au sous-sol de leur maison, le tout en même temps,
c'est le bordel ! Et ce qui est je dirais cruel c’est que l'aspect grossier du film ne vient quasiment jamais de la forme (j'insiste sur le "quasiment" parce qu'à certains moments il n'y a rien à faire) mais bien du fond, le ridicule du scénario, de certains dialogues et de divers éléments finissent par sauter aux yeux et par extension avoir une répercussion sur la mise en scène, pour sûr Flanagan ne méritait pas ça.
Pour conclure il est certain que ce prequel surpasse très nettement le précédent film mais il n’en demeure pas moins décevant compte tenu de son potentiel gâché, car la matière première, même modelée à l’infinie, était sans doute trop faiblarde pour rendre un contenu solide en accord avec le talent de son artisan. La réelle satisfaction étant de constater que lorsqu’on donne à un type qui connait son sujet les moyens de s’exprimer on voit qu’il en ressort des choses intéressantes, il serait donc bénéfique que la leçon soit retenue à l'avenir et que les scénaristes se mettent sérieusement au boulot.