Le Vietnam est un pays que je ne connais qu'à travers son conflit avec les États-Unis. J'étais donc plus que partant pour découvrir une culture qui m'est totalement inconnue sous l'angle de l'arrivée à l'âge adulte. Si David Lynch filmait un rêve avec Blue Velvet, il est évident que Dang Di Phan filme des souvenirs avec Mékong Stories. L'ensemble est volontairement décousu et enchainent les scènes sans faire de véritable lien entre elles. Le spectateur ne perçoit que des fragments la vie de ce groupe d'amis, des scènes que l'on pourrait juger ordinaires mais qui forment pourtant l'essentiel de l'histoire. Il semblerait que pour le réalisateur l'intérêt ne réside pas dans le contexte social pauvre dans lequel évoluent les personnages. Ce serait au contraire ce que ces jeunes adultes vivent individuellement qui compte : leurs combines pour se faire de l'argent, leur intimité (parfois mise à mal), leurs discussions au coin du feu et ainsi de suite. Dire que ce sont ces instants futiles qui resteront permet au cinéaste de poser un regard nostalgique sur ce qui est filmé. La photographie est entièrement dédiée à ce sentiment. Dang Di Phan travaille beaucoup les espaces vides dans ses plans, réduisant souvent les personnages à des silhouettes pour mieux les replacer dans un environnement familier mais changeant. De plus, le cinéaste entretien un rapport particulier avec l'eau. Le climat du Vietnam est bien entendu différent de celui de la France, et cela se ressent à l'image. Les murs, toujours humides, ont une façon particulière de renvoyer la lumière, parfaitement mise en valeur par l'artiste (notamment dans l'usine au tout début). Le fleuve, quant à lui, offre un cadre original à l'histoire, tout en étant une métaphore des chemins qui s'offrent au personnages. Enfin, la pluie (et la boue, aussi) reviennent à plusieurs reprises au services de métaphores simples mais efficaces. L'autre photographie, celle pratiquée par le personnage, a également son importance au niveau du sentiment nostalgique de l’œuvre, mais elle devient rapidement secondaire, ne revenant qu'à la toute fin. Cette conclusion est d'ailleurs surprenante, puisqu'elle met en évidence le fait que les thèmes de la drogue, de la prostitution et de l'homosexualité, qui gravitaient autour du film sans jamais devenir un enjeu principal, prenaient une tournure de plus en plus dramatique, dont les spectateurs n'avaient pas forcément conscience. Le dernier plan est assez cru, et pose la question "comment en est-on arrivé là ?". Mais le spectateur est étrangement apaisé par le générique de fin, composé de bruits de la forêt. Mékong Stories est donc un film qui traite brillamment du thème du souvenir à travers ces jeunes qui tentent de se faire une place dans une société vietnamienne partagée entre ce qu'elle a été et ce qu'elle est en train de devenir. On retrouve une séparation similaire dans la bande-son, composée à la fois de cordes pincées et de sonorité électroniques, qui étrangement confèrent à l'ensemble possède un côté très aérien et relaxant.