Je suis, c'est vrai, sans doute un peu dur avec Julieta, mon tout premier Almodóvar. Un peu déçu, en fait, par la direction qu'il finit par prendre en désamorçant un possible climax et en choisissant la sobriété, moi qui suis c'est bien vrai un peu trop formaté à un cinéma définitif et parfois un peu boursouflé. S'il ne montre pas les retrouvailles supposées, s'il n'habille pas son récit d'un point d'orgue qui se terminerait en un cri du cœur (qu'il soit douloureux, plein de force, ou les deux peu m'importe), c'est sans doute parce que le réalisateur madrilène veut donner à son personnage une consistance supérieure, en faire un absolu qui existera extérieurement aux attentes qu'on a quant à son histoire, à un propos défini ou à une volonté d'émouvoir qui serait pour le coup aussi classique que prosaïque. Non, Almodóvar préfère finir par faire de son héroïne une figure souveraine, qui n'existe que par elle-même et finit par devenir le film lui-même, aspirer toute sa symbolique et tous ses personnages (qui gravitaient déjà autour d'elle) pour toucher, c'est vrai, à quelque chose qui ressemble au cœur d'une vie toute entière. Après coup, je comprend un peu mieux la démarche, mais il n'en reste pas moins que la dernière partie m'aura un brin décontenancé et paru perdre en intensité. Jusque là, pourtant, j'avais beaucoup aimé cette histoire, y voyant une magnifique fable sur la vie, déjà écrite (le parcours de Julieta s'imbrique dans celui de toutes les femmes qu'elle connaîtra) autour d'une jeunesse qui est éternelle mais volage, qui déchoit petit à petit les gens de la couronne qu'elle leur avait un jour offerte. Ainsi, Almodóvar réussit subtilement à marier la beauté éclatante dont est capable l'humain (avoir Adriana Ugarte comme vitrine et comme miroir peut aider, en ce sens) avec la banalité absolue qui la sous-tend, de par la nécessité du changement et la répétition infinie d'une beauté qui finit par en perdre tout sens. C'est peut-être dans cette première partie et ces moments de grâce déjà perdus au milieu des millions d'autres qui les ont précédés que le film trouve le mieux sa respiration. La photo chatoyante et pleine de vie s'y confronte parfaitement à une mise en scène clinique, comme un oiseau exotique retenu par une cage. La forêt de symboles, l'inféodation à la mythologie grecque et un vocabulaire très référentiel (on pense à Hitchcok, notamment) laissent aussi passer cet éclairage particulier et inquiétant sur des faits déjà écrits, dont on peut déjà lire les premières fissures si on sait regarder où il faut. Julieta, s'il ne se départ jamais de sa tendresse, arbore alors une supériorité pleine de regret sur ses personnages, qu'il parait accompagner dans leurs étreintes avec la conscience de ce à quoi ils sont promis. Peut-être un peu chargé par moments pour ne pas apparaître comme une machine à émotion trop huilée, Julieta évite quand même l'outrance par la souplesse et la retenue de sa mise en scène, qui sonde en profondeur son personnage principal. À regarder Julieta se débattre au sein de sa vie, dont les mystères lui sont insondables, on finit ainsi par en perdre tout recul, par plonger avec elle dans ce tourbillon existentiel (la mer amène aussi son aura intrinsèque) et, renvoyés à nos propres expériences, on finit par croire vraiment aux légers excès du scénario tant la matrice émotionnelle et psychologique du film parait crédible au point d'en être vitale. Tourné et écrit avec sincérité, Julieta est un très beau film, pas de doute là-dessus. Il sacrifie simplement à mes yeux un peu de son potentiel et de sa capacité à marquer pour rester fidèle à son personnage. Tout à fait défendable, juste peut-être pas complètement fait pour moi.