Certains d’entre vous restent peut-être imperméables au cinéma belge et cela peut (parfois) se comprendre. Pour vous réconcilier avec le 7ème art de notre plat pays, nous vous suggérons de vous rendre à la projection de « Préjudice », du jeune réalisateur Antoine Cuypers. Car derrière ce nom presqu’inconnu se cache un cinéaste qui a tout des Grands et qui marquera, à coup sûr, son temps !
Par choix, nous décidons de ne pas trop dévoiler l’intrigue du film. En effet, rien de tel que de vous asseoir vous-même à la table de cette famille aux apparences ordinaires mais qui dans le fond, dysfonctionne totalement. Le temps du film, vous deviendrez des spectateurs privilégiés et impuissants d’une violence latente, de non-dits oppressants et d’un orage relationnel réaliste qui ne pourra que laisser des traces dans le cœur de nos personnages comme dans le nôtre.
Parlons de la réalisation. Antoine Cuypers a fait le choix d’un huit clos pour mettre en exergue son scénario, écrit à quatre mains avec l’auteur Antoine Wauters (« Nos Mères » aux éditions Verdier). Le cinéaste parvient à suspendre le temps afin que chacun puisse faire la connaissance de chaque membre de la famille dans un temps presque réel. Il fait battre nos cœurs de stress (au rythme d’une batterie folle qui se déchaîne comme celle de « Birdman ») et joue avec nos émotions. Il offre des images sublimes, comme celle de l’orage qui se déchaîne et qui pourtant se déroule au ralenti. Il filme ses comédiens avec intensité, qu’il s’agisse du regard désolé d’Arno ou le visage fermé de Nathalie Baye. Il parvient à nous mettre mal à l’aise sans que cela ne devienne malsain pour autant… Bref, il nous offre un cinéma intelligent et donne un aperçu d’une réalité insupportable et pourtant vécue par certains d’entre nous car le cinéma, c’est aussi le reflet de la société, avec ce qu’elle a de meilleur… ou ce qu’elle recèle de pire.
A cela, ajoutons que, pour avoir eu l’immense plaisir de le côtoyer à la sortie de l’avant-première, on peut attester qu’Antoine Cuypers est rempli d’humilité autant que de talent ! Très à l’écoute, il laisse à chacun la possibilité de trouver dans son film, une clé de lecture personnelle. Très modeste sur sa réalisation, passionné autant que passionnant, il dépasse pourtant de loin certains de ses confrères. Nous lui souhaitons sincèrement le meilleur et une carrière prolifique associée une juste reconnaissance de son travail par le monde (parfois impitoyable) du cinéma.
Pour parfaire son œuvre, il a fait confiance à un casting de choix. En tête de liste, l’impressionnant Thomas Blanchard. Quasiment inconnu du grand public, il offre une prestation énorme et mémorable ! Il crève réellement l’écran et fait montre d’un talent incommensurable ! Il n’interprète pas Cédric, il l’est. Différent des autres, conscient de sa situation et incompris, il jongle avec les émotions, passant de la douceur à la colère avec brio.
Face à lui, une Nathalie Baye, talentueuse comme toujours. Elle joue une mère fermée, froide, distante, incapable de gérer réellement une situation qui la dépasse. D’apparence solide, elle a tout d’un géant aux pieds d’argile. Arno, le père de famille, n’en est pas à son premier coup d’essai. Chanteur mais aussi acteur (« J’ai toujours rêvé d’être un gangster », « Komma », « Mon papa d’Amérique ») il incarne sans doute celui qui se rapproche le plus du spectateur : impuissant face à la situation, il ne juge pas, ne se prononce pas et observe sans agir la souffrance de sa famille. Son regard est profond, ses émotions sincères, son jeu juste… il est tout simplement parfait !
Là où le réalisateur (et co-scénariste) a été une fois de plus judicieux, c’est qu’il a fait en sorte qu’aucun des personnages ne soit réellement au second plan. Ainsi, Ariane Labed (aux faux airs de Kristen Stewart, le talent en plus !), Eric Caravaca, Cathy Min Jung, Julien Baumgartner et le tout jeune Arthur Bols, ont tous une place prépondérante dans le long-métrage et y ajoutent une implication personnelle remarquable ! Antoine Cuypers nous a d’ailleurs confié que l’équipe de comédiens était réellement soudée et n’a pas hésité à investir du temps dans le tournage du film, même lorsqu’ils n’étaient pas indispensables aux scènes tournées. Preuve en est qu’il a su fédérer des acteurs d’univers différents, qui n’avaient lien entre eux et qui, au final, constitue une vraie famille.
S’il a fallu cinq ans au film (de l’écriture du scénario à sa post-production) pour qu’il voie le jour, il faut reconnaître que la patience est la mère de toutes les vertus et que le film présenté est irréprochable. Une chose est certaine, qu’on aime ou qu’on apprécie moins l’expérience cinématographique vécue, on ne sort pas indifférent de la projection de « Préjudice ». C’est un vrai bijou qu’il faut découvrir sans tarder et que nous ne cesserons de recommander !