Chef-d'œuvre expressionniste qui offrit à son réalisateur la renommée mondiale, Nosferatu le vampire a gravé ses lettres dans l’histoire du septième art pour être le premier des quelques 1200 films que la figure du vampire a inspirés depuis l'invention du cinéma.
Au début des années 1920, le cinéaste allemand encore méconnu, Friedrich Wilhelm Murnau, se lance dans le projet illégal d’adapter le roman « Dracula » (1897), de Bram Stoker, sur une idée du producteur et architecte allemand Albin Grau, passionné d’occultisme. Le scénario est confié à Henrik Galeen, connu pour être le scénariste de Golem, deux ans plus tôt, qui est d’ailleurs l’une des influences de Murnau pour la réalisation de Nosferatu. Quant à Albin Grau, qui est le producteur du film, il occupe également la fonction de décorateur, en prenant en charge les costumes et le choix des décors.
Toutefois, en plus de ne pas détenir les droits d’auteur pour cette adaptation, ce qui aurait entraîné un coût trop important pour le petit studio de production Prana Film GmbH, de nombreuses libertés sont prises par rapport à l’œuvre originale : la ville imaginaire de Wisborg (dont le nom est emprunté à l’ancienne ville de Wismar) remplace Londres ; plusieurs noms de personnages sont modifiés, comme Dracula qui devient le comte Orlok ; et l’apparition de Nosferatu en loup-garou. Mais dans l’ensemble, la trame narrative est respectée.
Parmi les caractéristiques qui font de Nosferatu un film pionnier, le choix de tourner dans des décors extérieurs en est l’une des principales. Ainsi, entre juillet et septembre 1921, Murnau campe ses caméras à Wismar et Lübeck, en Allemagne, mais aussi en Slovaquie, dans le château d’Orava, qui sert de décor pour le château du comte Orlok, dans les Carpates. D’ailleurs, il est important de souligner l’importance historique des images de l’architecture de Wismar et Lübeck, deux villes rasées à plus de 85% lors des bombardements de la Seconde Guerre mondiale.
Les effets spéciaux, habilement maitrisés, manient différentes techniques pour contribuer au caractère fantastique de l’œuvre (animation en volume) et fournir au spectateur des repères visuels. Ainsi, contrairement à la plupart des films muets de l’époque, Nosferatu est originellement teinté de couleurs jaune, bleu, vert et rose pour indiquer les différentes phases de la journée et offrir un contexte temporel.
A sa sortie en salles, bien que salué par les surréalistes, Nosferatu subit les foudres de la veuve de Bram Stoker, Florence Stoker, qui accuse Munau d’avoir trahi le roman original et lui intente un procès entre 1922 et 1925. En juillet 1925, le verdict ordonne la destruction des copies et des négatifs du film. Mais dans les faits, cette interdiction a été peu appliquée. Après la mort de la veuve Stoker, en 1937, des copies cachées apparaissent en France, en Angleterre, en Allemagne et aux Etats-Unis. A partir de 1960, des diffusions en salles sont même organisées, et l’œuvre originale est intégralement restaurée dès 1984.
Dans ce long-métrage novateur, qui fait également partie des premiers films d’horreur de l’histoire du cinéma, le réalisateur façonne la vision prophétique d'une société en proie à ses démons et ravagée par la mort, dans le sillage de la Première Guerre mondiale et de ses conséquences. A sa sortie, de nombreux critiques ont fait porter leur voix pour souligner la dimension politique et sociale du film, telle une préfiguration des horreurs nazies à venir. De plus, oscillant entre les clairs-obscurs et les évènements réels et fantasmés, le cinéaste n’hésite pas à invoquer la peur à travers la sorcellerie et le fantastique.
Nosferatu n’est pas la première adaptation du roman de Bram Stoker. En 1921, le cinéaste hongrois Károly Lajthay réalise Drakula, mais l’œuvre originale est aujourd’hui considérée comme perdue. En revanche, l’adaptation de Murnau est la première à faire autant parler d’elle. En effet, à des fins promotionnelles, l’équipe du film n’a pas hésité à entretenir le mystère autour de cette production, quitte à aller jusqu’à faire croire que l’acteur Max Schreck, qui interprète le célèbre vampire, en est lui-même un. Cette rumeur est amplifiée par le fait que le comédien, durant le tournage, n'était jamais visible dépourvu de son maquillage particulièrement réaliste, encourageant la confusion entre l’homme et le monstre. En 2000, E. Elias Merhige se penche sur le tournage du film en réalisant L’Ombre du vampire, où il revient plus particulièrement sur ce mystère volontairement installé autour de la personne de Max Schrek. Quoiqu’il en soit, l’acteur entre dans la légende grâce à ce rôle et collabore de nouveau avec Murnau en 1924, dans Les Finances du grand-duc.
Véritable source d’inspiration pour plusieurs générations de cinéastes et de nombreux courants de la production européenne ou hollywoodienne, rassemblés autour de la lutte de l’ombre contre la lumière, ainsi que de la fascination de la nuit et de la mort, Nosferatu le vampire contient le carton le plus célèbre de l’histoire du cinéma : « A peine eut-il franchi le pont, Hutter fut assailli par les sinistres visions dont il m’a souvent parlé ». Cette phrase souligne le passage d’un monde à un autre, mais aussi d’un état à un autre, de la conscience vers le rêve. Elle devient ainsi une parabole du pouvoir du cinéma sur le spectateur.
Mais en dépit de ses qualités techniques et historiques, Nosferatu a mal vieilli et les performances des acteurs, typiques de l’expressionnisme allemand, sont incompatibles avec les notions de réalisme et de crédibilité. Ainsi, même si le jeu de Max Schrek, le soin apporté à son maquillage et le mystère de son aura parviennent à susciter une pointe d’angoisse, l’exagération des émotions ne permettent pas d’être convaincus par l’histoire.