3sur5 Considéré comme l'un des films inauguraux du cinéma d'horreur, Nosferatu est l'emblème absolu, avec le Métropolis de Fritz Lang, du cinéma expressionniste allemand des 20's. Il s'agit de la oremière adaptation (détournée) du Dracula de Bram Stoker, quoique non-officielle et interdite en son temps dans de nombreux pays pour des raisons juridiques. A l'inverse des Dracula''officiels'' et postérieurs, nobles gentlemans raffinés (Bela Lugosi en tête), Nosferatu y est hideux, contre-nature par son allure et cadavérique et s'il fascine comme eux, les émotions qu'il suscite sont presque exclusivement axées autour du dégoût, de la frayeur, bref de la répulsion d'une façon ou d'une autre.
Il est souvent accordé au film certaines visions avant-gardistes ou polémiques : pour certains, le personnage de Nosferatu serait antisémite (il en serait le parangon de la caricature physionomique), pour d'autres, plus nombreux, il préfigurerait intentionnellement l'émergence du nazisme (on peut juger cette idéalisation de film prophétique assez baroque et romantique, donc aucunement valide en réalité). Dans les deux cas, Nosferatu incarne ''la peste'', c'est le monstre qui vient troubler l'ordre et la paix. C'est le protagoniste par qui la crise (doit-elle alors être métaphorique et donc politique ?) arrive ; il est le Ça qui une fois démasqué, poursuit ceux qui l'ont côtoyé, amène le chaos et sème lamort. Il vampirise sinon le système, au moins la civilisation.
L'interprétation psychanalytique, tout aussi prégnante et bien moins sujette à controverse, rejoint l'interprétation politique sur ce point. Le film mettrait en scène les trois pôles de l'Etre selon les topiques freudiens, c'est-à-dire le Moi, le Surmoi & bien sûr surtout le Ça. Hutter, clerc de notaire s'invitant chez Nosferatu, serait alors le Surmoi ; s'il se laisse aller à son enthousiasme, il est en quête d'expériences et de connaissances et se montre rationnel et logique. Son épouse Ellen serait le Moi ; elle cultive son image, comme toute jeune fille sociable et qui se respecte ; elle est simple et ancrée dans le réel. Enfin, Nosferatu est le Ca, la part cachée, monstrueuse et déshinibée de l'Homme. Coupé de la Civilisation, il est une somme de pulsions ; il est l'Eros & Thanatos réunis, contenant et distribuant sa pulsion de mort, mais aussi la pulsion sexuelle, donc de vie (le vampire demeure une métaphore du désir charnel).
Lorsque le Ca approche, le ''Moi'' tombe malade, est en proie à de violentes émotions et à la peur (d'autant plus qu'il n'est plus sous l'égide du Surmoi). Perdant leurs repères au contact du Ca, le Moi et le Surmoi sont tous les deux entraînés vers leurs ressources primaires (voir leur animalité), recroquevillés sur leurs instincts défensifs. Le Moi est cependant attiré par la démence, tandis que le Surmoi y résiste. Si on suit cette méthodologie, Hutter/le Surmoi opérerait ainsi une plongée dans son inconscient avec sa visite dans l'antre de Nosferatu ; en authentique Surmoi, il rejetterait et nierait alors les forces obscures aperçues. Ellen/le Moi est alors le carrefour de ces deux entités.
Près d'un siècle plus tard, Nosferatu berce toujours par son atmosphère anxiogène, mais découvrir ce Graal aujourd'hui mettra un terme à certains fantasmes. Expressionniste et métaphorique certes, le ''chef-d'oeuvre'' laisse peu de place à la terreur pure ou aux abstractions graphiques ; Nosferatu lui-même est la seule attraction un tant soit peu excessive et étrange (son aspect gothique marquera Burton qui citera l'oeuvre de Murnau à plusieurs reprises dans sa filmographie). L'ensemble du film est quand à lui très fidèle aux émotions du réel le plus pur et bénin ; on voit somme toute assez peu Nosferatu, le récit se concentrant davantage autour de doutes et spéculations assez redondantes à son propos. Nosferatu reste attractif par la beauté picturale des séquences-clés (la traversée du pont) et des apparitions de son héros éponyme dont la plupart, d'une grandiloquence monumentale, constituent des visions mémorables, d'ailleurs devenues d'authentiques vignettes kitschs.
Aujourd'hui tombé dans le domaine public, le film est accessible de des formats différents : il existe divers accompagnements musicaux, du jazz au rock agressif, et toutes les éditions ne proposent pas la gamme de couleurs (via trois filtres, jaune, bleu et rose, employés de façon très symbolique) que Murnau intégra à son oeuvre, affichant un Nosferatu simplement en noir et blanc. On ne saurait trop recommander d'éviter une telle version, puisqu'elle amoindrirait la force de ce classique parfois fascinant mais quelque peu émoussé.
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