Il y a des idées magnifiques dans ce qui était à n'en pas douter un chef-d'oeuvre, bien que j'aie du mal à le voir comme tel. Sa fin, tout d'abord, où Nosferatu se livre lui même au Soleil qui le détruira sans même un effort de la femme pour le retenir. Comme si le personnage rencontrait enfin un destin qu'il avait si souvent incarné. Son carton conclusif, ensuite, qui nous dit que "[...] dans les rayons victorieux du Soleil matinal, on vit disparaître l'ombre de l'oiseau de la mort" - comme si tout ceci n'avait été qu'une nuit, qu'un cauchemar. Ce faisant, quelques simples lignes étirées par la mélancolie étrange de la musique du film, ramènent d'un coup cette histoire dans la sphère troublante de notre intimité en l'éloignant de celle du mythe et du récit. On pourrait aussi bien entendu parler de l'expressionnisme de l'image comme l'une de ces nombreuses qualités. Pourtant, c'est précisément de lui que vient ma déception, ou plutôt de son utilisation, que j'aurais presque tendance à trouver trop parcimonieuse. C'est compréhensible, après tout : à l'époque, ce film de Murnau était la première adaptation du roman de Stoker, et l'histoire fascinait déjà assez par elle-même sans qu'il fut besoin d'y ajouter une autre dimension. Après avoir vu les films de Coppola et Herzog, et connaissant donc parfaitement la légende, j'aurais quand même pour ma part eu besoin de voir quelque chose de plus revisité, à l'aune d'une vision plus marquée. Je le répète une fois encore : l'expressionnisme qu'adopte petit à petit le film s'en charge, s'acheminant vers une conclusion au pouvoir de fascination il est vrai intact. Mais durant une bonne partie du film, j'ai seulement vu une nouvelle variante d'un récit que je connais par cœur un poil engoncée dans les codes canoniques utilisés pour la mettre en images (je sais bien que c'est un non-sens de dire cela du premier film sur le sujet, mais j'ai malheureusement fait les choses à l'envers en le voyant bien trop tard). Il restait quand même, même dans cette première partie qui ne m'a pas assez surpris à mon goût (rassurez-vous, j'ai un peu honte moi-même de dire cela quand je sais très bien que c'est de ma faute) quelques éléments que le film porte en lui-même de façon meta et qui m'ont quelque peu fasciné. De façon tout à fait personnelle, d'abord, j'ai eu à remonter le temps de la sorte (de Coppola vers Murnau en passant par Herzog) cette drôle d'impression de retourner aux racines originelles d'un mythe que j'avais le sentiment fugace de toucher du doigt, comme s'il s'apprêtait à traverser l'écran pour se matérialiser pour de bon. Ensuite, la frénésie inhérente au cinéma muet (les personnages se doivent d'être excessifs dans leurs attitudes pour compenser ce que le dialogue ne peut pas apporter) s'imbrique de façon évidente avec la folie ambiante de cet univers. Enfin, une anecdote rapportait qu'Hitler, en son temps, était un grand fan du film de Murnau (assez ironique quand le nazisme condamnait l'expressionnisme comme un mouvement dégénéré). La nature d'Hitler ou un parallèle déplacé ne sont absolument pas mon propos, je voulais simplement souligner que même pour les hommes de l'époque, Nosferatu était un classique, un film du passé. Devenu, par ce simple constat, un passé du passé, le film de Murnau finit par rejoindre l'histoire même qu'il raconte dans une sphère légendaire et rappelle que, si Nosferatu a toujours fasciné d'une époque à l'autre, c'est que le mythe contient avant tout des cauchemars bien humains, eux-aussi éternels et ici parfaitement imagés. Je n'ai donc pas adoré ce long-métrage, mais à vrai dire, c'est surtout de ma faute.