Si le cœur a ses raisons que la raison ignore, selon Pascal, pour le film d’Andrew Haigh la raison vient ravager le cœur. Celui de Kate qui va découvrir que même après 45 ans de mariage, le jardin secret de son époux est loin d’être en jachère… et s’en trouve ébranlée… bouleversée !
Ce film, sur le temps qui passe et les remises en question au sein du couple ou de soi, est construit le plus simplement possible. Les scènes s’égrènent sur quelques jours, une sorte de livre d’heures où immisce petit à petit, le doute, la déception, le regret. Quelques jours jusqu’à cette fameuse fête d’anniversaire de mariage de Kate et Geoff, qu’ils organisent plus par convention que réelle envie. La répétition des actions (levers, balades, repas, dîners…) marque l’habitude du temps passé, installé, mais elle est de plus en plus dérangée, au fur et à mesure que la date approche et que Kate avance dans ses investigations. Haigh ne choisit pas la facilité d’une voix of pour exprimer les ressentis, juste il ajoute ça et là, un détail, un comportement, un geste qui viennent pulvériser ce qui fut, on le sent, la trop sage harmonie de ce couple. Cette structuration simple, et le fort pouvoir du non dit (Kate le reconnaît elle-même) noyé dans le flot de la banalité, font penser à l’écriture d’un Harold Pinter, avec ce même niveau d’excellence et surtout d’exigence ! Le film en est d’ailleurs impressionnant !
Formellement également « 45 years » surprend et séduit. Entre le décor rassurant en apparence de la maison où se joue ce huis clos terrible, et les bouffées d’oxygène que sont les sorties en ville, près du canal ou en campagne, c’est toute une scénographie implacable qui est mise en place. Le silence ici, loin de représenter l’apaisement devient étouffant, perturbant quand il est interrompu par un carillon feng shui, une sonnerie de téléphone ou l’enclenchement d’un appareil à diapos... La musique (rare) quant à elle ne joue que son rôle de rappel à la vie d’avant (le morceau du bal de mariage, le prélude de Bach pour revenir aux choses simples que l’on ne fait plus…). Cette désagrégation des convictions passe aussi par l’image, telle la scène où Kate apparaît derrière sa vitre, pâle reflet d’une vie de plus en plus fantomatique, ou encore cette lumière presque tamisée qui couvre leur vie. Andrew Haigh sait jouer de sa caméra en privilégiant des plans ascétiques impeccablement placés.
Mais bien évidemment, toute cette maitrise technique, serait bien vaine sans l’incroyable présence de Charlotte Rampling. Elle combine sur ce rôle toutes ses prestations antérieures, son vécu d’actrice et de femme, pour donner à Kate ce charisme, cette beauté assassine, cette affliction. Elle fait nôtres, sa douleur, son amertume, sa désillusion… elle est profondément attendrissante et merveilleuse et tient là le rôle de sa vie. Face à elle, Tom Courtenay, dans un rôle plus qu’ingrat impressionne également ! Pas étonnant que les deux furent distingués à Berlin ! Et l’on croise les doigts pour que les Oscars en fassent de même en couronnant la comédienne, car à cœur et à raisons, elle surpasse de loin toutes las autres concurrentes !