Ousmane Sembène (1923-2007) est souvent présenté comme le père du cinéma africain. Samba Gadjigo fut son bras droit pendant les vingt dernières années de sa vie. Il lui consacra une longue biographie, d’abord publiée aux Etats-Unis en 2010, car Gadjigo est professeur outre-Atlantique, puis traduite en français en 2013. C’est le même itinéraire qu’a suivi ce documentaire réalisé en 2015. Il sort sur nos écrans six ans plus tard seulement, à l’occasion de la réédition du Mandat, un des films les plus attachants de Sembène.
Ousmane Sembène fut un réalisateur militant. Il développe une conscience de classe dans les rangs de la CGT, à Marseille, où il avait trouvé à s’employer sur les docks. C’est à cette époque qu’il écrit son premier roman, "Les Bouts de bois de Dieu", qui raconte, sur un mode volontiers lyrique, la grève des cheminots du Dakar-Bamako. Formé au cinéma en URSS, il en revient avec une caméra super-8 avec laquelle il tourne ses premiers courts-métrages.
Ses films traitent à bras-le-corps de sujets politiques. "La Noire de…" (1966) évoque le sort cruel des bonnes africaines employées par des petits blancs, mesquins et racistes. "Ceddo" (1977) dénonce l’islamisation forcée des campagnes. "Camp de Tiaroye" (1987) rappelle une page oubliée de la Seconde Guerre mondiale : la révolte, matée dans le sang, de tirailleurs sénégalais démobilisés qui réclamaient le paiement de leurs soldes. "Moolaadé" (2003), son dernier film, est un réquisitoire contre l’excision.
Le documentaire de Samba Gadjigo déroule révérencieusement cette prestigieuse filmographie. Il alterne très classiquement les images d’archives et les interviews face caméra. Il évite de justesse l’hagiographie en ne passant pas sous silence les défauts du grand réalisateur qui fut peut-être un immense homme de cinéma, mais aussi un être irascible et un père exécrable (le témoignage d’Alain Nidaye, son premier fils, est particulièrement impitoyable).
Samba Gadjigo évoque sa relation avec Sembène, son admiration pour son oeuvre, les conditions de leur rencontre. Assez paradoxalement, cette dimension du documentaire, qui décentre le regard trop longtemps fixé sur le réalisateur et son oeuvre édifiante, est la plus touchante et on regrette qu’elle n’ait pas été plus explorée.