C’est bien connu, l’Histoire est toujours écrite par les vainqueurs. Surtout quand il s’agit d’affaires politiques et militaires. L’Etat d’Israël a ainsi longtemps joué de cette image de petit poucet vainqueur, cultivant ainsi le mythe de David triomphant seul du géant Goliath. Pourtant, loin des images popularisées par les médias du succès militaire israélien fulgurant (les chaussures abandonnées par milliers dans le désert par les soldats égyptiens défaits), les premiers témoignages des soldats revenant du front se révélaient beaucoup plus modérés. Loin de l’euphorie collective, les soldats, eux, demeuraient marqués parce qu’ils avaient vu et fait. Les habitants des kibboutz accueillant ces premiers revenants du front ont ainsi enregistré des heures de témoignages, aussitôt censurés par l’Armée. Ce qui n’empêchera pas l’écrivain Abraham Shapira de compiler une partie de ces témoignages dans un ouvrage intitulé « Le septième jour », qui deviendra un best-seller en Israël dès sa sortie en 1968. Avec « Censored Voices », Mor Loushy exhume donc ces enregistrements, désormais déclassés, en présence de ces anciens soldats qui avaient alors accepté de livrer leur témoignage. Parmi eux, figure Amos Oz, l’un des plus grands auteurs israéliens contemporains. Avec beaucoup de sincérité, ces vétérans osent lever les tabous et racontent les combats, les succès rapides, mais surtout la face cachée de la guerre. Celle que les médias ont cherché à taire par tous les moyens. Car l’armée israélienne s’est livrée elle aussi à des crimes de guerre qui, pour la première fois, nous sont racontés de façon officielle : pillage, destructions de villages, exécutions sommaires de prisonniers, de civils innocents, de militaires ennemis en déroute bien après l’entrée en vigueur du cessez-le-feu. Tous relatent les ordres donnés par l’état-major d’infliger le plus de pertes et de destructions possibles à l'ennemi. Le plus frappant, c’est l’empathie et l’humanité dont font preuve ces anciens soldats dans leurs témoignages, regrettant les massacres, les humiliations et les souffrances infligées aux soldats et aux populations adverses, contraintes à un exode massif. Beaucoup même font le parallèle entre les souffrances qu’ils ont infligées et celles subies par leurs parents, obligés de fuir quelques décennies plus tôt une Europe en proie à l’antisémitisme. Plus que des regrets ou des traumatismes, ce sont surtout les réflexions de ces hommes, sur les horreurs de la guerre, le cycle de violences sans fin qu’elle génère, qui touche profondément. En cela, « Censored voices » est une œuvre à ce point importante qu’elle démythifie un symbole de victoire parmi les plus fédérateurs de la Nation israélienne. Surtout, elle porte un regard d’une incroyable acuité sur les conséquences de cette guerre et l’écho qui en résulte encore aujourd’hui dans les relations entre l’Etat hébreu et ses voisins. Un film forcément indispensable.