Avec le mot "loi" en rouge, au centre, lumineux comme un gros mot, l'affiche de La loi du marché laisse craindre un énième film social et misérabiliste pour mettre encore un peu plus en lumière la dureté du capitalisme et le déclinisme de notre société européenne vieillissante. Non pas que la pauvreté et le handicap ne déclenchent plus la révolte dans les cœurs engourdis, mais parfois, honteux et coupable d'indifférence, le spectateur aspire à l'évasion et à l'aventure devant le grand écran, et à s'éloigner, le temps d'un film, d'un quotidien parfois morose.
Les apparences sont pourtant trompeuses. La loi du marché offre bien plus que ce que l'affiche semble promettre.
Thierry, joué par un Vincent Lindon magistral, est au chômage depuis vingt mois. Plutôt que de s'entêter à mettre sur la paille son ancien petit patron avec ses collègues syndicalistes, il a décidé de tourner la page et de chercher activement un travail mais sa recherche s'accompagne d'entretiens d'embauche humiliants, de formations inutiles de Pôle Emploi qui visent à réduire les statistiques du chômage et d'entretiens de groupe où d'autres chômeurs deviennent ses plus féroces fossoyeurs. Il finira par trouver un poste de vigile en supermarché.
S'il fallait attribuer un seul qualificatif à la Loi du marché, ce serait celui de darwiniste. Le film ne porte aucun jugement sur les êtres, leurs actes, leurs émotions. Il se contente de les décrire le plus factuellement qui soit et de montrer leurs réactions face à l'adversité du monde du travail. C'est la très grande objectivité du tournage qui fait la force colossale du film : le spectateur n'est pas guidé dans ses haut-le-cœur et ses dégoûts par un réalisateur militant, il est confronté avec ses propres valeurs, croyances et convictions au monde que le réalisateur Stéphane Brizé lui expose.
Le monde dans lequel évolue Thierry ne connaît ni l'empathie, ni la compassion. Que ce soit l'acheteur du bungalow qui oublie son engagement de prix et revient sur la promesse faite, le directeur des ressources humaines qui trouve à une caissière accusée de vol des circonstances très personnelles pour expliquer son suicide sur son lieu de travail ou le directeur d'école qui prévient le fils handicapé de Thierry des conséquences de résultats insuffisants, chacun joue la partition que lui demande sa "fiche de poste", sans nuance, sans fléchir et sans s'émouvoir de cette famille terriblement unie mais dans une mauvaise passe.
C'est en adoptant la même attitude inflexible que Thierry s'en sortira, sans céder à la pitié que peut lui inspirer un homme âgé qui vole de la viande faute de pouvoir se la payer, en limitant le crédit à la consommation offerte par sa banquière quand son statut repasse de mauvais payeur potentiel à bon payeur potentiel ou en refusant à l'acheteur de son bungalow l'aumône qu'il semble lui faire. En appliquant, lui aussi, la loi du marché.
Et quand Thierry ne se bat pas pour garder son appartement ou coincer à la caméra les caissières qui enfreignent le règlement interne par de menus larcins, il savoure de minuscules plaisirs que le réalisateur dessine dans de très longues scènes (le cours
de danse, la blague du repas, l'habillage du fils). On l'aurait presque juré : les gens heureux n'ont pas d'histoire.