(...) Bon, on ne va pas tourner autour du pot, le film reste malgré tout un peu chiant à regarder, parfois très pénible mais ça fait partit de la démarche du projet avec une utilisation incroyable du silence. De plus, l'intrigue met un temps fou à en venir au point de départ (en fait, je croyais qu'on commençait direct ou assez rapidement avec Lindon en vigile mais que nenni, il faut bien attendre la moitié du film pour en être là, soyez prévenus !). Du coup, il faut se farcir un grand nombre de scènes (environ 10 et à peu près autant de plans étalés sur 40 minutes, vous voyez le délire) qui, d'habitude, ne nous sont pas montrées. Et c'est là où le film devient, selon moi, intéressant. En effet, depuis plusieurs années, à force de lire, d'écouter et de voir plusieurs critiques de cinéma venus d'horizons différents, j'ai peu à peu acquis la certitude que le cinéma est un art du mensonge, basé sur le concept du découpage, créant ainsi une distance entre le spectateur et le film. Le réalisateur nous raconte une histoire, souvent mensongère parce qu'écrite à l'avance, via un procédé qui consiste à nous montrer quelque chose de réel mais en trichant sur les points de vue (d'où la notion de découpage ou de montage). Nous sommes un témoin parfois omniscient d'une histoire. Et Brizé choisit de faire tout le contraire, celui de nous raconter une histoire en nous plaçant dans la position du témoin (du voyeur ?) et en ne coupant (presque) pas ses plans. Nous épousons ainsi le point de vue du protagoniste principal tout en restant à distance (de côté, en face, parfois de dos, souvent caché). Bref, c'est hyper intéressant surtout que cette quête insensée de vouloir représenter la vraie réalité vraie de la vraie vie réaliste des vrais gens est proprement bluffante ! (...) Concernant le coeur du film, à savoir l'intrigue nous plongeant dans les arcanes du quotidien d'un supermarché, les scénaristes ont pris quelques libertés avec la réalité (notamment la façon dont le directeur licencie), il parvient à dire des choses très fortes, très puissantes, qui, en se basant sur une grande économie d'effets et de dialogues, parviennent à être plus percutantes et plus révulsantes que n'importe quelle tirade syndicaliste. En nous montrant des trucs anodins, des scènes du quotidien, Brizé nous plonge dans l'enfer moral, psychique et intérieur de cet homme brisé par un système trop fort pour lui. On finit par avoir l'estomac noué, retourné, le corps et le cerveau en ébullition. Bien sûr, le propos est engagé, asséné avec virulence, tout est fait pour être inattaquable sur le fond (on peut parler de démagogie bien pensante) mais ce qu'il raconte est tellement banal qu'on a oublié que c'était révoltant. Le film fait partie de ce mouvement d'indignés qui ne peuvent plus supporter les abus du quotidien, il se penche sur les petites gens mais sans condescendance, sans mépris ou sans poser un regard de bobo. Il reste à hauteur d'hommes et l'ultime action de son héros est bien plus spectaculaire, admirable et courageuse que n'importe quelle autre action révolutionnaire. La critique complète sur thisismymovies.over-blog.com