Un jour un réalisateur français a trouvé que Ken Loach était trop subtil. Alors Stéphane Brizé a écrit La loi du marché. J'exagère à peine devant ce documentaire à l'épaule blafard porté par un Vincent Lindon mal peigné, déprimant à tuer un clown, papa
d'un handicapé, chômeur, assistant au suicide d'une collègue, son enterrement, le licenciement d'une autre pour le vol de coupons
... Le pire ? Toutes les situations sont plausibles à l'exception peut-être des propositions de la banquière :
revendre 5ans avant de devenir propriétaire, surtout lorsque les livrets d'épargne ne sont pas vides, surtout lorsqu'on apprend ensuite qu'il détient un mobile-home
. Quant à l'assurance vie, l'appartement a forcément été acheté avec une assurance... Donc paradoxalement un décès permettrait de rembourser le reste à payer de l'appartement et à la maman de bénéficier d'aides aux parents isolés. Mais bon, taper sur les banquiers c'est un impondérable lorsqu'on est un artiste de gauche. C'est un peu comme les immigrés chez d'autres. Enrichir le propos avec quelques moments de plaisir au travail (ils existent!) auraient aussi permis d'apporter de la nuance sans forcément nuire à la puissance de l'oeuvre.
J'ai par contre beaucoup aimé que souvent, Brizé se contente de montrer sans dire : perdre sa voiture, trouver un emploi, le quitter et j'ai aimé plus encore qu'il montre tout court, la vraie vie. Pas étonnant que le spectacle de prolos qui triment ait fait jouir le jury cannois : c'est un plongeon dans la 3e dimension pour eux. Pour les autres et malgré ses grandes qualités (il faut regarder et discuter ce film !), les plans fixes et sans rythme vous ennuierons par moment. A la fin, un peu comme chez Loach on se retrouve avec cette certitude, les (rares) salops et autres pervers narcissiques ne sont pas le danger. Non le danger c'est le système qui broît, la compétition qui commence dès l'école, l'accumulation de petites humiliations, les conseils que l'on reçoit à Pôle emploi, la nécessité de marchander pour un mobile home, lorsque le DRH vous dit "vous n'êtes pas responsable", lorsque le patron vous demande : "Thierry vous confirmez ?". Si vous êtes Vincent Lindon, vous vous cassez et allez réclamer votre palme. Les autres acquiesceront sans broncher.