Est ce pour faire oublier qu'il vient de la grande bourgeoisie intellectuelle? Et qu'il a même été le compagnon transitoire d'une princesse, certes d'opérette? Vincent Lindon excelle dans le rôle du prolo-qui-a-des-malheurs, et aussi une conscience. Toujours digne, battant dans l'adversité: le prolo modèle, en quelque sorte, peint par Pierre Corneille...
J'avais beaucoup aimé les deux films précédents de Stéphane Brizé(Mademoiselle Chambon, Quelques heures de printemps), dont Vincent Lindon était déjà le héros; deux films pudiques, traitant avec beaucoup de délicatesse de la difficulté à partager ses sentiments, à transcender les différences sociales, qui lui allaient vraiment bien, à Lindon, mais qui étaient nettement moins arides que le présent opus. Là, on peut dire que Lindon porte le film; il n'interprète pas, il EST. Sans lui, La loi du marché virerait facilement au reportage qualité Arte sur la dure vie des employés de supermarché.
C'est une succession d'une douzaine de séquences qui paraissent toutes un peu longues -longues comme la vie, car face à un employé de l'ANPE j'imagine que les minutes paraissent interminables.
Thierry a la cinquantaine, il était conducteur de machine outil, modèle un peu ancien, il se retrouve au chômage.
On lui fait faire un stage qui ne débouche sur rien; on le voit face à son accompagnant, face à un employeur potentiel qui lui fait passer un entretien sur Skype, dans un atelier où l'on apprend aux demandeurs d'emploi à se présenter....
On le voit chez lui, aussi, avec sa femme et son fils lourdement handicapé. On sent qu'il y a là une vraie famille, unie, qui partage. La priorité c'est que le fils fasse des études, mais pour cela il faut payer pour un accompagnant; il faudra sans doute
vendre le mobil home qu'ils possèdent dans un camping pas très loin de la mer.
Tout cela est d'une vérité aveuglante.
Finalement, le seul job offert à Thierry, c'est vigile dans un supermarché (là, on pense à Olivier Gourmet et on se dit que c'est décidemment un thème à la mode...). Et c'est terrible. Bien sûr, il y a le jeunot arrogant et menteur qui vient de piquer un chargeur d'iPhone; celui là, on n'a aucune pitié pour lui.
Mais il y a aussi l'homme âgé qui a mis dans sa poche le steak auquel il n'a pas pu résister et qu'il n'a pas de quoi payer: moyennant quoi, la procédure ira à son terme. Et puis, il y a le flicage des caissières -et leurs indélicatesses dérisoires, mais qui valent un renvoi immédiat: récupérer les bons de réduction non utilisés par les clientes; ou, lorsque ces clientes n'ont pas la carte du magasin, passer en douce leur propre carte pour accumuler des points....
Le spectateur prend tout ça dans la gueule. Il ressent ce que ressent Thierry; il vit ce que vit Thierry. Rarement le cinéma aura su nous montrer aussi bien la dureté de la vie pour certains. Critique social qui porte parce que subtile, parce que non ostensiblement militante...
Un film utile à voir et à méditer, porté par Vincent Lindon, qui n'a pas volé son prix d'interprétation! La plupart des autres acteurs sont des non-professionnels qui interprètent de faon fort convaincante leur propre rôle.