La loi du marché.
Un film intéressant mais qui manque de « vécu ». Il n’y a pas dans le personnage joué par Vincent Lindon, de révolte, de colère ni d’indignation. Il « fait la gueule » tout le long du film. Mais il est vrai aussi qu’il n’a pas connu la guerre de harcèlement pour le mettre en défaut et essayer de le virer de son poste sans indemnité. Il est vrai aussi qu’au cours de sa recherche d’emploi qui a suivie, il n’a pas eu ces réponses toutes faites qui viennent les unes derrière les autres pour vous dire que finalement, « on » n’a pas besoin de vous. De vous, de vos compétences, de vos savoirs et savoir-faire ou même de votre savoir être. D’ailleurs comment pourrait-on vous demander du savoir être quand on en n’a pas soi-même ?
Sinon pourquoi ces butoirs sur lequel le rail arrive en bout de course alors que le train n’a pas terminé son parcours ? Pourquoi ces refus sans explication, ces faux-semblants (nous gardons votre cv pour un autre poste qui pourrait s’ouvrir éventuellement) ? Pourquoi tout ce travail en vain, car c’est aussi un travail la recherche d’emploi, quand des gens que vous rencontrez, censés vous aider, sont aussi dépendants des organismes qu’ils représentent. N’ont-ils pas eux aussi les mains liés, la langue de bois, les réponses sempiternelles toujours les mêmes et l’inévitable et permanent « votre cv est mal fait ». Ainsi on vous culpabilise et on se débarrasse.
De plus, le personnage assez sinistre qui nous est proposé, plutôt attentiste qu’amorphe, sans réaction, sans révolte, n’a pas eu ce temps d’espérance alors que prêt à être ré-embauché, il est encore enthousiaste. Il n’a pas eu au bout d’une longue période d’échecs, d’humiliations, de frustration et d’impuissance, cet effondrement moral qui vous met au fond du trou.
Non, il n’a pas connu ensuite ces difficultés qui viennent amplifier encore le désastre tout autour. Il n’a pas été obligé de vendre son bungalow quel qu’en soit le prix. Il n’a pas été contraint de vendre son appartement en urgence. Il n’a pas eu ces terribles disputes avec son épouse qui ne le comprend plus et donc n’a pas connu ce problème de couple qui inévitablement vient pourrir encore plus la situation. Il n’a pas été interdit bancaire. Il n’a pas eu l’huissier dans son domicile pour lui enlever ces quelques biens auxquels il tenait tant, véritable viol de son intimité et de sa respectabilité, commis au nom de la société, sans état d’âme, devant sa famille et ses enfants.
Non, il n’a pas eu tout cela et finalement il s’en tire bien. Il trouve un « petit boulot » qu’il va devoir malgré tout, supporter. Tout cela pour voir d’autres êtres paumés comme lui, essayant de s’en tirer par quelques larcins bien anodins. Tout cela pour comprendre aussi toute l’hypocrisie du système qui enterre encore plus une personne déjà enterrée plus qu’à moitié. Tout cela pour que son entreprise fasse du profit et augmente son chiffre d’affaire, voir son bénéfice, parce que le facteur humain importe peu, tant qu’on peut le manipuler et qu’il se soumet.
Il sait, il voit, il comprend… Il va peut-être « se tirer » en claquant la porte ? Ou alors non, il ne la claquera pas. Parce que ceux qui ont construit ce film n’ont pas vécu tout cela et n’ont pas la capacité d’aller jusqu’au fond des choses, au plus profond de l’humiliation, de la remise en question professionnelle, sociale, familiale et intime.
Et donc j’ai été déçu parce que moi j’ai vécu tout cela et que je sais de quoi je parle. Le propos est incomplet et ne va pas assez loin, pas assez en profondeur. De plus, il n’était pas nécessaire d’y ajouter un enfant handicapé, quoique les promesses du directeur de son école soient aussi un beau monument d’hypocrisie. Alors peut-être que le sujet est à reprendre, si quelqu’un veut bien se donner la peine d’aller jusqu’au bout. Même et pourquoi pas, jusqu’à l’espoir quand il est retrouvé. Car aucune situation n’est bloquée si on reste prêt à rebondir, à condition de ne pas se laisser enfermer dans un cadre infernal et de savoir se remettre en question. Et ça, ce n’est pas gagné !
L.Y.S