Film vu en avant-première au Brussels Film Festival
Moustachu, mal coiffé, mal rasé, usé, Vincent Lindon arrive enfin chez nous pour porter le réaliste et très dur constat social de Stéphane Brizé dans un monde en tout poil pareil au notre. Entre les trucs et astuces pour survivre, la volonté de s’en sortir quitte à le faire au détriment des autres et de sa propre morale. Voilà La loi du marché, un film à acclamer pour son courage à nous ébranler, brillant par ses choix de documentaire fictionnel sans tirer le propos au plus grand scepticisme mais sans embellir la réalité non plus.
Ainsi, voilà Thierry (Vincent Lindon), le regard fou, les idées floues après tant de mois à être brinquebalé de formations en entretiens qui n’aboutiront jamais. Car oui, Thierry a 51 ans, une belle carrière derrière lui, une bonne position, mais ce qui ne devait pas arriver est arrivé. La fin du rêve, aussi modeste était-il. Depuis 20 mois, Thierry est au chômage, et ses maigres économies seront bientôt épuisées à force d’essayer d’amener un minimum de confort à sa famille, sa femme et son fils, handicapé mais rêvant de brillantes études. « Prévenez-les! Ou vous dites aux gens qu’il n’y aura rien à l’arrivée ou vous les envoyez vers quelque chose d’utile« , Thierry essaie de raisonner l’employé de Pôle Emploi chargé de son suivi. En effet, même le monde ne tourne pas rond dans ce carrefour des chômeurs, un autre conseiller lui a fait suivre une formation de chauffeur durant quatre mois. Résultat, il n’y a aucun débouché et Thierry est dépité.
Et d’entretiens d’embauche en peine perdue et en absence de nouvelles des recruteurs, Thierry se lasse même du combat de ses ex-collègues déterminés à faire condamner leurs bourreaux. Mais, Thierry trouve quand même un poste d’agent de sécurité dans un centre commercial. Avec le malheur dans sa chance, de se retrouver à épier les faits et gestes des caissières autant que des réassortisseurs. Au moindre souci, pour le plus petit vol, c’est désormais lui qui devra jouer le rôle du méchant!
Qu’il doit être difficile de réaliser un tel film, sans sombrer dans la médiocrité caricaturale et sans utiliser non plus des effets de style. « Qu’il doit être difficile » mais pour Stéphane Brizé, cette difficulté semble être une force tant son film est aussi glaçant qu’il fait échos, sans détour, à notre réalité, notre société en pleine perdition. Ces pertes d’emplois qu’on entend à la radio; ce nombre croissant de chômeurs servis par nos télévisions. Le constat n’est ni triste, ni joyeux, il est ce qu’il raconte. Documentaire. Avec au milieu d’acteurs « débutants », choisis parce que le rôle qu’ils jouent (de l’agent de sécurité à la caissière en passant par le directeur du magasin – d’ailleurs vous le trouverez sur Linkedin) est réellement le leur dans la vie réelle, il y a Vincent Lindon. Lindon qui, une nouvelle fois, épate, nous met en souffrance tant il transpire ce rôle, tant il en est presque malade. Inutile de dire que son prix d’interprétation à Cannes, cet acteur fascinant ne l’a pas volé. Mais bien plus que pour cette récompense, il faut voir le film de Brizé pour ce qu’il est, avec sa justesse de ton, sa sublime musique évitant le piège de trop en rajouter. Un film renversant, sans jugement, bouleversant, ode à la loi du marché qui, décidément, ne peut plus durer.