Thierry Taugourdeau est un homme qui ne sourit plus. Il a peut-être ri, avant dans l'entreprise dont il a été licencié, il s'est sans doute amusé dans son bungalow même éloigné de la plage, mais aujourd'hui, il ne sourit plus. Le visage est dur, figé, comme celui d'un résistant qui ne lâche pas prise, un visage qui a peur de ses propres émotions. Le seul moment du film où on le voit qui rit, est celui où il danse avec sa femme, dans la maison, au côté de leur fils handicapé. Thierry ne peut plus sourire car c'est un homme qui lutte. Il est englué dans une lutte inégale, inconstante, une lutte pourtant où il est prêt à succomber aux pires compromis pour restaurer l'estime de soi que le licenciement, le manque d'argent, le chômage de longue durée lui ont fait perdre. Il a abandonné le combat contre l'entreprise qui l'a mis à la porte car il veut tourner la page. Il a abandonné le combat contre l'absurdité de Pôle Emploi et la cruauté des chômeurs comme lui, tellement habitués au dénigrement, qu'ils s'assènent eux-mêmes d'invectives, à coups de propos discriminants et négatifs. Par contre, il ne lâchera pas sur ce qu'il a construit de plus profond, de plus fort : sa famille. A plusieurs reprises, on voit ce père habiller ou laver son fils adolescent, infirme moteur cérébral, qui, à l'image du père, lutte pour regagner la place qu'il mérite à l'école, voire dans la société. Il ne lâchera pas sur le prix du Bungalow où il a passé ses vacances, il ne vendra pas le bien familial. Il ne lâchera pas sur son couple, filmé avec pudeur, mais où l'on pressent beaucoup d'amour, de la lassitude certes, de l'épuisement certes, mais beaucoup d'affection. Pour le reste, il s'abandonne à un métier de vigile dans un supermarché où il doit pourchasser les petits voleurs du quotidien, pire, ses propres collègues aux caisses, qui s'octroient des tickets de réduction ou des points supplémentaires sur leur carte de magasin. "La loi du marché ne cède à aucune démagogie, ni aucun misérabilisme social. Les rapports humains sont filmés avec dureté, avec sécheresse même. La caméra scrute les visages au plus près des yeux, comme pour y capter les émotions enfouies, les larmes qui ne coulent plus. Stéphane Brizé va jusqu'à filmer le visage d'une collègue qui s'est suicidée sur son lieu de travail, un visage figé dans une photo posée sur le caveau ; c'est un visage qui sourit bien sûr, mais dont sait immédiatement la détresse et l'impuissance qui l'ont conduite au geste final. La musique est totalement absente. Cette absence a un effet presque d'étouffoir, et il faut attendre la toute fin du film pour que la musique reprenne sa place sur l'écran, signe que le héros a de nouveau engagé la lutte contre le renoncement. Le réalisateur connaît très bien Vincent Lindon. Il s'agit peut-être d'un des plus grands rôles de sa carrière. Le scénario est taillé à la hauteur de cet acteur, beau, prudent, et expressif, qui donne au film l'épaisseur indispensable pour repenser le monde. D'ailleurs la marque de fabrique des films de Brizé, c'est la pudeur. On se souvient du tendre "Mademoiselle Chambon" ou du subtil "Quelques heures de printemps". Le réalisateur revendique la pudeur non pas comme un effet de style, mais comme un respect incroyable pour le spectateur à qui il confie l'émotion, le ressentiment, sans jamais les provoquer. Les lumières, la photo, les cadrages sont autant de manifestations du parti-pris esthétique et philosophique du réalisateur. Et vraiment, il fallait un homme comme V. Lindon pour incarner avec autant de dignité, les malheurs invisibles et quotidiens qui traversent les gens de peu.