The Witch, lorsqu’une famille de dévots, collons de l’Amérique sauvage du 17ème siècle, s’installant à l’orée d’un monde inexplorée, est confrontée à un mal pernicieux se cachant dans les bois environnants, ou lorsqu’un jeune metteur en scène audacieux tente de redonner sa part de mysticisme, de puissance sourde au film horrifique. Robert Eggers, dans une démarche courageuse, s’attaque en effet à un mythe propre à la Nouvelle-Angleterre, d’abord, et à un mythe de la culture populaire, en offrant une perspective radicalement différente de celle-ci indéfiniment déclinée par le Hollywood Low-Coast du film d’épouvante, suivez mon regard. Le jeune réalisateur ose la contemplation, ose privilégier l’ambiance, le mystère ténébreux aux jump-scares, aux archétypes du nouveau marché de l’horreur au rabais. Eggers, dans cette même démarche, rendant un certain hommage historique à cette époque de colonisation, confronte l’asservissement religieux d’une part de la vieille Europe à un mal inconnu, blotti dans les sombres forêts du nouveau continent. Le bien face au mal, en somme, ou Dieu face au démon, quand bien même la thématique du film soit bien plus profonde.
L’enfer d’une vie d’asservissement à sa foi, au père de famille, à la parole du Bon Dieu, la famille exilée ici dans l’immensité des grands territoires de la Nouvelle Amérique est un modèle de dignité, se saignant, littéralement, en vue de mener une vie digne de leurs croyances poussives. Lorsque ce concentré familial le plus chrétien qui soit se confronte au mal absolu, les liens de brisent, les esprits s’échauffent et la folie guette. Tapi dans l’ombre, le mal guette son œuvre, patientant jusqu’au moment où il pourra réellement entrer en scène et pillé ce qu’il restera de ses pauvres victimes. Bien sûr, chez Robert Eggers, le mal prendra bien des formes, ne pourra être clairement identifié, se fondant dans tous les malheurs et créatures, s’immisçant dans les pensées et troublants toute quiétude. Le final, glaçant, ne sonnera pas, pourtant, comme la victoire de l’obscure sur la lumière, comme nous pouvions nous en douter, mais sera plutôt synonyme de délivrance. Pari audacieux que celui tenté par le jeune réalisateur.
En effet, celui-ci, s’il sera parvenu à convaincre la presse et les cinéphiles exigeants de ses capacités à faire d’un film d’horreur bien plus qu’une attraction pour adolescents, se sera attirés les foudres d’un public lambda ayant fait le chemin jusqu’à la salle la plus proche croyant découvrir le nouveau petit rejeton d’une écurie horrifique façon Blair Witch. Oui, on ne peut clairement assimiler ce projet au tout-venant de l’épouvante tant le ton est différent, tant l’esprit est tourné vers l’ambiance, la contemplation et finalement vers l’histoire. Le mal n’est-il pas plus terrifiant lorsque personne n’est à même de l’identifier, lorsqu’il n’est que mystère? Bien sûr. Le mal doit-il, au cinéma, impérativement s’incarner en une créature monstrueuse ? Bien sûr que non. Ici, deux lectures sont clairement envisageables, celle de la métaphore et celle des faits tels qu’ils sont décrits. Cela s’impose comme étant l’une des forces de ce film sorti de nulle part, un film qui par ailleurs pourra s’appuyer sur une bande sonore parfaitement adaptée, plus terrifiante encore que bon nombre d’images.
On peut aussi, s’il l’on veut bien, rapprocher The Witch au mythique The Shining, du fait que les deux long-métrages mettent en scène une famille s’exilant dans une forme de néant et qui sera confrontée à un mal invisible mais hautement destructeur. Impossible de ne pas faire le rapprochement. Bien sûr, Eggers n’est pas Kubrick, loin de là, mais sa proposition de cinéma donne du baume au cœur à l’heure ou le cinéma horrifique n’est plus qu’attraction vide de tous sens. Avis aux amateurs de réelles découvertes, de découvertes exigeantes. 15/20