Les couleurs et la neige plairont à certains. D’autres néanmoins rappelleront – à tort certainement, comme crier dans le désert – qu’un conte est avant tout une pratique, une pratique orale et sociale, ce qu’était le conte original d’Andersen, ce que n’est plus ici son adaptation signée Disney, ou plutôt son prolongement puisque du conteur ne subsiste rien sinon les formes de son art, la coquille vide d’un animal mort. Il y a certes cette peuplade décimée – on ne comprend pas trop pourquoi d’ailleurs, mais passons –, mais guère de mémoire à sauver et à entretenir par la voix du conteur, seulement un objectif à atteindre avec un certain nombre d’obstacles qui sont autant de niveaux dans un jeu vidéo. La Reine des neiges 2 veut faire aussi bien voire mieux que son aîné : plus gros, plus grand, plus fort avec plus de chansons, plus d’enjeux, plus de retournements scénaristiques, si bien qu’on ne comprend pas, à terme, vers quoi tout cela s’achemine. Ça braille à tout bout de chant : ça braillait dans la montagne, ça braille toujours dans la montagne, mais aussi appuyée au balcon à regarder l’horizon, cet horizon qui murmure une mélodie et transforme l’héroïne en nouvelle Jeanne d’Arc, version glacée. La mère s’assoit sur le lit de ses filles ? Chanson. Je l’aime, mais comment le lui dire ? Chanson. Elle est partie sans dire au-revoir ? Deux chansons (« elle nous quitte », « je les quitte »). On se retrouve après quinze minutes de séparation ? Chanson. Même dans les comédies musicales les chansons ont un sens, du moins elles contribuent à faire avancer l’action ou à la ralentir en donnant accès au spectateur à l’intériorité des consciences des personnages. Ici, rien de tel. On chante pour chanter, pardon pour remplir l’album et l’intrigue, pour concourir aux cérémonies officielles aussi. Surtout que les chansons produites pour La Reine de neiges 2 sont d’une médiocrité incroyable, persuadées que monter dans les aigus suffit à faire ressentir quelque chose. Rarement les paroles auront été aussi ineptes, déclinant à toutes les personnes de la bêtise les discours pompeux sur l’amitié, l’amour, la détermination qu’un élève de primaire n’oserait formuler dans ses expressions écrites. Le film s’efforce ainsi d’endormir son public en le gavant de mauvais sucre : en témoignent l’omniprésence de ce bonhomme de neige bêta, le rythme effréné du récit qui charcute ses scènes par souci de capter à lui l’attention, l’aspect clipesque de certaines séquences tout droit sorties des productions des années 80 : il en faut pour les parents aussi ! Le traitement que fait le long métrage du merveilleux est encore une fois erroné : nous avons le droit à une représentation de la forêt qui évoque un univers d’heroic fantasy ici hors sujet, nous avons le droit non pas à de l’épique mais à des fulgurances héroïques empruntées à l’écurie Marvel. En outre, on ne peut que se raidir en voyant Disney ressusciter le passé disparu d’un peuple, lui qui consacre le temps et les milliards dont il dispose à censurer ses œuvres, à les remodeler à l’ère du tout numérique pour mieux en gommer les aspérités inhérentes à leur contexte de naissance. Si une certaine esthétique du cauchemar perce çà et là, offrant quelques plans plutôt réussis en matière de composition, La Reine des neiges 2 marque un nouveau pas de côté de la part de la souris milliardaire, et trouve dans la perfection de ses effets numériques – quoique l’image soit fort laide – le paradoxe d’une atrophie de la magie que les mots du conte d’Andersen, simples et inspirés, suffisaient à faire jaillir.