Une première constatation à propos de ce film : l’écart entre les goûts d’une certaine critique cinéphilique( ?) rive-gauchisante et parisiano-nombriliste et ceux du public moyen (dont je fais partie) va grandissant jusqu’à devenir abyssal. Il suffit de jeter un coup d’œil sur l’affiche et ses encarts dithyrambiques (vous y trouverez le chœur et le cœur de la critique évoquée) pour constater la boursouflure des avis à l’égard d’un film pour lequel je me perds en conjecture quant à savoir s’il représente le Nouveau Cinéma Comique Français. Nous connaissions les pantalonnades des Bidasses en folie, les pets déso(pi)lants des Visiteurs, les blagues franchouillardes des Bronzés, et tous ces films à nous faire roter de dégoût par leur navrante nullité et leur hauteur de vue située dans nos entre-jambes. Nous pensions avoir touché le fond avec ce cinéma qui a réussi à être si con et pleurnichard (merci Audiard) et nous nous demandions ce que nous avions fait au Bon Dieu pour mériter si peu de considération et de respect. C’était sans compter sans Bruno Dumont, qui creuse le trou encore plus profond de notre désespérance face au rire gras et vulgaire dont le cinéma français s’est fait une spécialité. Nous nous étions déjà abîmés les yeux et l’intelligence avec le P’tit Quinquin, où notre rire s’étranglait dans l’irrévérence à l’égard d’acteurs( ?) dont on ne savait pas trop si leur débilité était feinte ou réelle. Dans Ma loute, cela s’accentue d’autant plus qu’y figurent des comédiens patentés.
Lorsque Lucchini surjoue dans le grotesque et le pitoyable, n’est-ce pas une façon de démontrer par l’absurde le grotesque et le pitoyable de ceux qui lui font face ? Cette symétrie n’est pas le moindre paradoxe d’un film qui veut jouer la note du rire par son exact contraire, c’est-à-dire celle de la laideur (artificielle pour les acteurs professionnels, véritable pour les autres). Ne parlons pas de Binoche, dont le jeu insupportable évoque le crissement de la craie sur un tableau. Au secours, faites qu’ils se taisent ! Quant au propos, où se situe-t-il ? Lutte des classes chez les moules, transgenre chez les affreux, Djihad chez les cannibales ? Que l’on me démontre la beauté d’une communauté de freaks dont les grognements évoquent ceux d’un goret (le père carnassier), le comique d’un Hardy décérébré flanqué d’un Laurel qui l’est tout autant. Bien sûr, me répondra-t-on, il y a le sous-texte que je n’ai pas su lire, le message écrit à l’encre sympathique que je n’ai pas vu apparaître, les desseins cryptés de Dumont que je n’ai pas compris. Alors, vous répondrai-je, cela me fait penser, moi qui suis un ancien prof, aux débats que nous avions parfois avec nos collègues de philo à propos de l’exposé d’un livre lors d’un café-philo. Une ampoule au plafond qui s’éteint ? Un signe de Dieu qui se rappelle aux hommes ! La couleur rouge de la robe de l’héroïne ? Une dénonciation du crypto-communisme ! Un verre tombé malencontreusement par terre ? La préfiguration d’une catastrophe écologique à venir ! Ce délire interprétatif, souvent repris par la critique sus-nommée, pourrait s’appliquer aux pseudo-vertus que le film veut incarner.
Bon, les images sont belles et Dumont sait filmer. Mais pour dire le néant, est-il besoin de ce théâtre grand-guignolesque ? Si le comique français fait son aggiornamento avec ce cinéma-là, il ne nous reste plus que la radicalisation et la fuite vers des contrées où le rire ne s’affuble pas du ridicule.