Après sa remarquable série "P'tit Quinquin", Bruno Dumont reste dans la comédie avec "Ma Loute", film déjanté qui va encore plus loin dans son exploration du burlesque, que ce soit à travers la caricature des personnages, l'utilisation des bruitages et l'incongruité des situations. Cette accentuation constante des traits provoque, dès les premières minutes, une hilarité euphorisante qui dit la stupéfaction de voir Fabrice Luchini en bourgeois décadent à l'accent improbable, Juliette Binoche en chrétienne illuminée, Valeria Bruni Tedeschi en femme complexée, incapable d'exprimer quoi que ce soit ou encore l'immense Jean-Luc Vincent dont l'improbable "We know what to do, but we do not do" restera célèbre, répété jusqu'à la folie. Il ne faudrait d'ailleurs pas passer à côté de cette démence progressive qui gagne cette famille bourgeoise, dont le point culminant est l'élan mystique final (désamorcé par l'humour), alors que la famille Brufort, simplement caractérisée par un cannibalisme rendu presque joyeux dans une scène de repas anthologique, est moins évolutive. Mais ce qui relie les bourgeois et les prolos, entre l'improbable tandem Machin-Malfoy, c'est bien évidemment la magnifique histoire d'amour entre Ma Loute et Billie, complexifiée par l'androgynie du fils (ou de la fille) Van Peteghem, finalement résolue dans une scène tragique à l'élan lyrique déchirant. Car si le film est drôlissime, il est aussi gagné par une émotion ravageuse, évidente dans les regards échangés entre les deux amoureux et capable aussi de cohabiter avec le comique (la scène de la procession où plusieurs tonalités existent dans le même plan). Cette rencontre sentimentale et de classes sociales est aussi celle entre des acteurs professionnels et des non-professionnels, un choc inouï qui s'apparente à un flamboyant feu d'artifice, constamment imprévisible, in fine bouleversant lors d'une séquence finale complètement folle, à l'image du film, qui réussit tout ce qu'il entreprend. J'attendais beaucoup de "Ma Loute", mais pas ce spectacle sidérant, incroyablement ambitieux et absolument sublime : un chef-d'oeuvre.