"Chambre avec vue" ouvre des fenêtres sur plusieurs paysages, extérieurs, et intérieurs. Le premier qui est offert, celui de la fenêtre d'une pension de famille réservée à de riches britanniques, à Florence, avec vue sur l'Arno, à la fin du dix-neuvième siècle, est impressionnant de beauté et d'acuité.
Un voyage dans le temps, dont le joli minois de l'héroïne principale, miss Honeychurch, ne dépare pas, tant elle a la grâce de la jeunesse et beaucoup de talent pour incarner ce personnage perdu dans les conventions et les contradictions de son âme, et celles des lois sociales
. L'image est belle, tout au long du film, les plans filmés par James Ivory ne souffrent d'aucun défaut. Il ne concède rien à l'époque où le film a été tourné, fidèle aux sentiments, aux manières, et aux costumes de l'époque victorienne. Si bien que le film n'a absolument pris aucune ride. Au delà du romanesque, cette production offre un intérêt historique, sociologique, et ethnologique, de l'Italie, et autant de l'Angleterre à la suite, même si pour cette dernière, le traitement visuel sera plus restreint , au cadre d'une belle demeure, où se retrouveront les différents personnages.
Les scènes de Florence sont un régal. Des fenêtres avec vue s'ouvrent partout, en toute indiscrétion, sur les mœurs britanniques, leur attitude réservée, faite de règles et de non dits, que l'on dit chez nous hypocrites, et où la moindre égratignure au protocole vous juge et fait exclusion.
Georges Emerson, ce jeune homme lunaire et passionné, flanqué d'un père tout aussi original, se moquant des règles, évoquant une sorte de sympathique monsieur Pickwick va créer cette rencontre de la passion dérangeant les convenances et la programmation de la jeune fille
Miss Honeychurch, corsetée par son éducation, possède pourtant un tempérament passionné, manifeste quand elle se met au piano, interprétant Beethoven avec fougue. L'essentiel du film tient à ce travail de refoulement têtu, chez cette jeune femme intelligente, mais luttant avec obstination contre ses sentiments profonds. Ce jeu d'acteur est un délice, et les artifices ne tiendront un temps, avant que le barrage contre le pacifique ne soit emporté. ..
Son chaperon, miss Maggie Smith, une vieille fille très convenable, la surveille étroitement.
Le duel entre la raison et les sentiments est un classique de la littérature anglaise. Elle se développe là avec délice, dans cette Italie que les anglais fréquentaient comme un voyage d'agrément, utile à leur culture classique, mais se bornant à le regarder de loin, tant la spontanéité latine, et l'aspect charnel des contacts les dérangeait.
Cette rencontre impossible de ces deux mondes, hors de l'aspect mercantile, n'est pas mis à l'écart par le cinéaste, qui montre les limites d'un tel voyage à cette époque, tout en n'en reconnaissant l'éblouissement et le trouble qu'il créait chez les anglais, avançant comme des martiens dans les rues de Florence avec leur guide voyage Baedeker, une véritable bible de ce qu'il faut voir et faire, les rendant souvent ridicules et empruntés.
Il y a scènes très fortes, visuellement, et autant dans la mise en scène, qui rappelle la maitrise de Visconti, ou des tableaux champêtres de Monet. Une scène assez terrible va rapprocher les deux jeunes gens, liée à la révélation de la mort, de l'accident qui peut perturber même la vie la plus établie, révélant que le cadre d'une chambre avec vue peut se casser, et que c'est à tort qu'on peut se considérer hors du paysage, et ne voir que les autochtones comme faisant partie d'un décor.
La deuxième partie du film se passe donc en Angleterre. Le jeune homme, George, par un hasard singulier, se retrouve avec son père en qualité de locataires, au contact de nouveau avec la jeune fille.
Elle vient de se fiancer avec un bon parti, un jeune homme prétentieux et fat, semblant dépourvu de tout aspect charnel, et tout autant d'humour. De cet homme si prévisible et sans âme, dont elle a fait pourtant le choix, tout semble condamner leur rapports futurs. Cette histoire, de glace et de feu, c'est un peu aussi celle de l'amant de lady chatterley, de DH Lawrence, et de la révélation d'un autre ailleurs, corseté dans l'Angleterre victorienne, et qui finira par faire exploser le cadre de la fenêtre avec vue, pour vouloir se mettre au centre du tableau.
Assurément un chef d'œuvre, qu'on pourra regarder plusieurs fois. J'allais oublier de dire comment l'humour est omniprésent dans ce film, en même temps que la beauté. *