Ridley Scott nous livre l'histoire d'un trio de personnages au cœur d'une bien sombre affaire de viol : Marguerite de Carrouges (la victime violée), Sir Jean de Carrouges (la victime par l'honneur... enfin, surtout par un ego et une virilité normales au Moyen-Age, macho aujourd'hui) et Jacques Le Gris (le violeur). Si l'on se permet de ne pas mettre "prétendu" ou "présumé" à chaque fois, c'est pour souligner le parti-pris résolument osé de Ridley Scott de ne pas jouer sur les zones d'ombres des textes rapportés, pour placer son "Duel d'hommes" dans une veine plutôt engagée pour les droits de la femme (un "#MeToo" du Moyen-Age : #MeQuoque), ce que l'on n'attendait clairement pas, et nous a surpris dans le bon sens. Ici, pas question de laisser le doute sur l'honnêteté de son personnage féminin, même dans le "tiers subjectif" de l'agresseur, on peut voir
un viol (elle dit clairement "non", et lui a comme seule défense : "Mais ça lui a plu, à la fin, du moins... Hem, je vais quand même me confesser, au cas où."
ce à quoi on s'entend déjà penser tout haut : "Il se sait coupable, au bûcher !"). Mais si l'on est si prompt à détester le personnage de Jacques (excellent Adam Driver, qui joue le pervers timbré à merveilles), tout en trouvant que le mari n'est pas non plus très galant sur les bords (il semble plus frustré qu'on a touché à "sa propriété" que désolé par amour pour sa femme...), c'est bien parce que Scott a voulu approfondir ses personnages comme jamais. Chacun possède donc "un tiers" de film, avec un système de chapitrage en trois parties qui reprend à chaque fois l'histoire depuis le début avec le point de vue d'un des trois personnages. Soit d'une part une excellente idée (pour approfondir au maximum la psychologie interne du personnage : on est dans sa tête), d'autre part une idée terrible quand elle nous force à revoir deux ou trois fois les mêmes scènes à l'identique (pas filmées autrement en fonction du point de vue, non : on coupe la séquence et on la remet trois fois dans le film telle quelle). Et on vous promet qu'à "la troisième" de ces scènes, on récitait les dialogues en même temps que les acteurs... On mentirait en disant qu'on n'a pas trouvé le temps très long durant les 2h35, surtout à cause de ce montage qui oblige à la redite et à la répétition. En revanche, on a eu les yeux écarquillés par le fameux duel final (dommage qu'on en a dévoilé le début dès l'ouverture du film, cela ne servait à rien et nous a gâché la surprise de tout voir d'un coup). Violent, cru, mené tambour battant, on en prend plein les mirettes dans la dernière ligne droite du film, d'autant plus si l'on ne connaît pas le fait divers historique (on avait un vrai suspens sur la fin, aussi : lisez les articles plus tard, gardez-vous le suspens !). Côté casting, on a senti Matt Damon en petite forme (et galérant carrément avec la prononciation des noms français, ce qui vaut aussi pour la majorité du casting : pour une fois, on a regretté de le voir en VO, entendre les noms écorchés à longueur de film nous a un peu lassé), Ben Affleck totalement dispensable (sa teinture blonde platine nous a fait mourir de rire), mais notre préférence va à Adam Driver (le parfait vilain qui s'auto-convainc de son innocence) et surtout Jodie Comer qui incarne parfaitement la femme qui ose parler, qui n'a pas peur des conséquences, et affirme ses droits de femme à ne pas être un objet sexuel (une révolution à l'époque, toujours pas aboutie aujourd'hui). On pensait voir un film bourrin, chevaleresque et macho, Ridley Scott nous a surpris avec son parti-pris délicatement (et intelligemment) engagé pour les femmes, avec une certaine tendresse (on le devine) pour les courageuses, les vraies "chevalières", qui osent parler. Dernier duel d'épées, premier duel de plumes... #MeQuoque.